Recrutement et innovation RH : comment rester humain dans un monde digitalisé ?

Recrutement et innovation RH : comment rester humain dans un monde digitalisé ?

Publié le 15/12/2025

Dans un contexte de tension sur le marché de l’emploi, où les attentes des candidates et des candidats évoluent vite, les TPE et PME doivent redoubler d’agilité pour rester attractives. Mais il est parfois complexe de continuer à recruter efficacement quand le temps manque, que les ressources sont limitées, et que la concurrence est forte. L’innovation RH offre des leviers puissants pour fluidifier les processus, mieux cibler les profils et accroître la performance. À condition, bien sûr, de ne pas sacrifier l’humain. Comment trouver le bon équilibre ? Quels outils privilégier ? Éléments de réponse avec Éric Texier, responsable du Lab Innov de l’Apec.

Quelles pratiques innovantes vous semblent aujourd’hui les plus prometteuses en matière de recrutement ?

Éric Texier : Depuis deux ans, à travers notre programme Apec Startup Shaker, nous avons accompagné plus de 200 start-up partout en France, dont beaucoup proposent des solutions innovantes en RH, mais aussi en greentech autour de la marque employeur. Ce vivier nous permet d’observer les grandes tendances, d’identifier les solutions les plus matures, mais aussi de confronter les recruteuses et recruteurs – nous les premiers – à des pratiques qui parfois bousculent nos habitudes. Et c’est une très bonne chose ! Car pour savoir ce qui fonctionne vraiment, rien ne vaut la rencontre directe avec ces start-up, lors d’événements que nous organisons régulièrement dans les centres Apec. J’encourage vivement les recruteurs et recruteuses, notamment en TPE-PME, à y participer : c’est une excellente façon d’ouvrir ses perspectives, et de découvrir des outils déjà opérationnels, souvent simples à prendre en main.

Parmi les innovations les plus intéressantes, je citerais d’abord la création assistée par une IA générative de la fiche de poste. Trop souvent, les personnes qui recrutent la rédigent de façon empirique, en oubliant des compétences clés, ou en manquant de clarté sur les attendus. Certaines solutions permettent désormais de croiser les référentiels métiers comme ceux disponibles sur apec.fr ou dans les bases RH, les spécificités du poste à pourvoir et les compétences émergentes, pour générer une offre d’emploi à la fois précise et attractive. On gagne en cohérence, en lisibilité, et donc en efficacité.

Autre exemple : les outils de préqualification assistés par une IA. De récentes études montrent que la grande majorité des candidates et des candidats sont aujourd’hui à l’aise avec l’idée de répondre à une IA ou à un avatar. L’intérêt, c’est que cela peut se faire à tout moment, dans de bonnes conditions, sans dépendre des disponibilités du recruteur. Et pour les TPE-PME qui confient parfois cette phase à une ou un alternant peu expérimenté par manque de temps, ces outils offrent une solution fiable, bienveillante et structurée. Attention : on parle bien ici de préqualification, pas de sélection finale.

Je pense aussi aux vidéos assistées, très courtes, qui permettent au candidat ou à la candidate de répondre à quelques questions simples et spontanées – du type « Qu’est-ce qui vous motive au quotidien ? ». Ces capsules, ensuite synthétisées par une IA, peuvent être intégrées au CV via un QR code. Cela offre un complément de lecture précieux pour les responsables du recrutement, qui perçoivent ainsi l’énergie ou le dynamisme de la personne, parfois absents d’un simple document écrit. Ce sont des outils qui donnent plus de relief à une candidature, sans l'alourdir.

À l’inverse, je suis plus réservé sur certaines solutions comme les entretiens vidéo différés. Ces formats très cadrés, où il faut répondre seul.e à des questions enregistrées, manquent souvent de spontanéité et peuvent défavoriser celles et ceux qui ne sont pas à l’aise face caméra. On passe à côté de la richesse de l’interaction humaine. Même réserve sur les outils de matching algorithmique, dont les biais sont encore trop fréquents : ils tendent à homogénéiser les profils et à reproduire les stéréotypes, en laissant de côté des talents atypiques ou issus d’autres parcours.

Enfin, je crois beaucoup aux solutions digitales qui structurent l’onboarding. Trop souvent, cette phase cruciale est bâclée. Une bonne intégration, structurée et suivie grâce à des outils adaptés, réduit le risque de départs précoces, renforce l’engagement, et montre à la nouvelle recrue qu’elle est attendue, accompagnée. C’est un investissement qui porte ses fruits à tous les niveaux.

En quoi ces innovations peuvent-elles répondre aux défis d’un marché du travail sous tension, notamment pour les TPE-PME ?

Quand on parle de transformation technologique, ce n’est pas propre aux RH : dès qu’une fonction est concernée par l’innovation, on ne peut pas se contenter de regarder le train passer – il faut monter à bord. Les candidats, eux, ne s’en privent pas : ils optimisent leur profil LinkedIn, soignent leurs CV, utilisent des outils d’IA pour rédiger leurs lettres de motivation, s’entraînent aux entretiens, consultent des simulateurs de salaire… Ils arrivent extrêmement préparés, et c’est très bien. Et les entreprises doivent suivre le rythme. Sinon, elles risquent d’apparaître comme déconnectées, moins crédibles… et donc moins attractives.

C’est particulièrement vrai pour les TPE-PME, qui doivent composer avec des moyens plus contraints. La bonne nouvelle, c’est que ces innovations RH sont aussi là pour leur faire gagner du temps et de l’efficacité, notamment sur les phases amont du recrutement. Grâce à l’IA, on peut rédiger une offre d’emploi plus lisible, plus attrayante, en croisant plusieurs sources (fiches métiers, référentiels, besoins spécifiques). On améliore à la fois le fond et la forme, ce qui est indispensable quand on est en concurrence avec les start-up à l’image dynamique, ou les grands groupes aux moyens confortables.

Grâce à l’IA, on peut rédiger une offre d’emploi plus lisible, plus attrayante, en croisant plusieurs sources (fiches métiers, référentiels, besoins spécifiques).

Il faut aussi travailler sur la visibilité de ces offres. Aujourd’hui, un bon canal de diffusion ne suffit plus. Certaines IA aident à ajuster les termes pour mieux ressortir dans les recherches, d’autres orientent sur les meilleurs circuits. Et puis il y a les basiques : un recruteur ou une recruteuse sans profil LinkedIn actif, aujourd’hui, c’est un vrai frein. Les cadres vont se renseigner, et s’ils tombent sur une page vide, sans contenu, ils se poseront des questions. L’image de l’entreprise commence bien avant l’entretien.

Pourquoi ces innovations RH suscitent-elles encore des craintes ? Et ces craintes vous semblent-elles fondées ?

Je comprends parfaitement les réticences. Certaines solutions technologiques, notamment les outils de matching ou les tests de personnalité automatisés, peuvent effectivement donner un sentiment d’opacité. On nous explique que leur fonctionnement est confidentiel, que c’est le « secret de fabrication » du prestataire, un savant mélange de méthodes psychométriques ou de modèles statistiques… Résultat : on a parfois l’impression d’avoir affaire à une boîte noire, un outil magique censé prédire la compatibilité d’un individu avec un poste. C’est normal que cela suscite de la méfiance.

Mais il faut nuancer. Pour moi, loin d’être déshumanisante, la technologie permet en réalité aux recruteurs et recruteuses de se recentrer sur ce qui fait la richesse du métier – l’échange, l’écoute, la qualité du lien –, et de mieux réussir l’exercice de l’entretien, trop souvent survolé faute de disponibilité. Pourtant, c’est là que se joue la qualité du recrutement. La solution Odiapazon, développée à l’Apec, aide en amont le recruteur et/ou le candidat à préparer l’entretien en identifiant des thématiques clés à aborder, et à formuler des questions sur le futur de la collaboration. Ce type de préparation change la teneur de l’entretien : on n’est plus simplement en train de valider un CV ou de réciter une fiche de poste, on parle de ce que signifie vraiment « travailler ensemble ». Pour aller au-delà du CV, on peut également enrichir l’entretien grâce à des solutions qui génèrent des mises en situation professionnelle personnalisées. C’est le cas d’Osim, disponible sur apec.fr depuis le 1er décembre dernier. Cela permet d’évaluer, en moins de 10 minutes à partir d’une offre d’emploi, des compétences concrètes, mais aussi des soft skills comme l’écoute, l’adaptabilité ou la capacité à coopérer.

L’outil Osim sur apec.fr crée en moins de 10 minutes une mise en situation à partir d’une offre d’emploi, pour évaluer compétences techniques et soft skills.

Bref, l’innovation n’a de sens que si elle permet d’enrichir la relation humaine, sans la remplacer. C’est exactement cela, le bon usage de la technologie en RH : s’appuyer sur elle pour fiabiliser, structurer, gagner en qualité… Et laisser toute sa place à ce qui reste le cœur du recrutement : la rencontre.

Quels garde-fous recommandez-vous pour éviter les dérives ?

Le plus grand risque, ce n’est pas l’innovation en soi, mais l’automatisation excessive, sans discernement. Il faut garder la main, et éviter de confier 100 % de la décision à une machine. L’IA doit être utilisée comme un tiers éclairant, pas comme un oracle. Un assistant qui fait gagner du temps, qui alimente la réflexion, mais qui ne remplace pas l’humain. Il faut à tout prix démystifier l’IA, et s’ouvrir aux bons usages de façon responsable comme on l’a fait avec toutes les nouvelles technologies. C’est à nous, recruteuses ou recruteurs et managers, de garder notre esprit critique, et de rester garants de l’équilibre entre efficacité et humanité.

 

A propos d'Éric Texier

Responsable du Lab Innovation de l’Apec, Eric Texier accompagne la transformation des pratiques RH et la conception de nouvelles solutions au service des TPE, PME, ETI et des cadres. Avant de rejoindre l’Apec, il a occupé plusieurs fonctions de direction au sein de grands groupes, piloté l’innovation chez Sodexo et conseillé de nombreuses startups et organisations sur leurs stratégies d’innovation et d’intrapreneuriat. Spécialiste de l’intelligence collective et des méthodes d'innovation agile, il met depuis plus de vingt ans l’innovation collaborative au cœur de ses engagements. 

 

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