Proche aidant.e : comment limiter l’impact sur sa carrière professionnelle ?
Jongler entre des responsabilités professionnelles et un engagement auprès d’un ou d’une proche est une réalité pour de nombreuses personnes. Selon l’étude « L'aidance, enjeu majeur du monde du travail » (France Travail - 2024), la France compte entre 8 et 11 millions de proches aidants non professionnels, dont 61 % en activité professionnelle. D'après l’Insee, d’ici à 2030, une personne salariée sur quatre sera proche aidant ou aidante. Autant de personnes qui vivent une double vie : gérer des projets, une équipe, tout en accompagnant une ou un proche dépendant, handicapé, malade ou âgé. Comment tout concilier lorsque l’aidance vient percuter le quotidien personnel et professionnel ? Comment rebondir lorsque la situation a imposé une pause ? Mélanie Houard et Matthieu Esteve, consultante et consultant Apec, livrent leurs retours d’expériences et leurs conseils.
Proche aidant.e, et si c’était vous ?
Les idées reçues ont encore la vie dure. Des jeunes diplômé.es, des cadres en milieu de carrière, d’autres à quelques années de la retraite… Nous le constatons régulièrement : devenir proche aidant.e peut arriver à n’importe quel moment de son parcours professionnel. Et bien souvent, les aidantes et les aidants ne se rendent pas immédiatement compte de leur statut. Dans quelle équipe n’a-t-on jamais entendu de pudiques « j’aide un proche », « je dois m’occuper de mes parents, de mon enfant, de mon conjoint », « je dois m’organiser », « je dois revoir mes priorités » ? Mais quelle réalité recouvre le terme de « proche aidant » ?
Il s’agit ainsi d’une personne qui s’occupe :
- d’une personne âgée, un parent ou un beau-parent ;
- de son conjoint ou de sa conjointe ;
- d’un enfant ;
- ou de toute autre personne résidant avec elle ou entretenant avec elle des liens étroits et stables.
Et qui lui vient en aide de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne.
Il peut s’agir de la réalisation de démarches administratives, d’aide pour la prise des repas, pour la toilette, pour se rendre aux rendez-vous médicaux, pour coordonner les différentes intervenantes (aides à domicile, infirmières, par exemple).
Aménager son activité : le premier des besoins
L’aidance est une situation subie qui vient soudainement percuter le quotidien. Il s'agit de s'organiser rapidement, de trouver des pistes d’adaptation sur le très court terme. De surcroît, dans un contexte où la charge émotionnelle est immense. C’est la peur d’être appelé.e en permanence au travail, de devoir précipitamment quitter son poste, de cumuler les absences. C’est le stress de mal faire, ou de ne plus faire aussi bien. Quand bien même le travail demeure une bulle d’oxygène pour bon nombre d’aidantes et d’aidants.
En plus de leur charge d’aidant, les personnes concernées ont la pression de rester performantes au travail, alors que beaucoup de cadres considèrent que le dépassement de soi est inhérent à leur fonction et à leur identité professionnelle ; et de limiter l’impact sur leur carrière. Pour cela, avant tout, elles ont besoin d’aménagement afin de mieux gérer vie personnelle et vie professionnelle.
Quand la frontière se fait poreuse, la flexibilité devient reine : opter pour davantage de télétravail, pour une gestion différente de son temps et/ou sa charge de travail, pour des horaires atypiques, pour une limitation des déplacements, etc. Sans oublier la souplesse ! Un cadre avait initialement choisi de télétravailler le lundi et le mercredi ? Dans quelques semaines, il aura peut-être besoin de fixer d’autres journées.
L’aménagement de son activité peut également passer par une redéfinition des missions, par de la mobilité interne, par un abandon des responsabilités ou le passage à temps partiel. Et si un autre poste dans l’entreprise correspondait mieux à sa situation actuelle ? Nous avons par exemple accompagné récemment une cadre aidante qui a été totalement transparente avec son employeur sur ses contraintes personnelles. Elle a négocié un poste qui l’intéressait, mais où elle n’avait plus d’équipe à manager. Une sacrée charge mentale en moins pour elle.
Dialoguer pour co-construire les solutions
Mais pour obtenir ces aménagements, le premier des réflexes est d’en parler en interne. Ce qui est tout sauf évident. Selon une enquête Ocirp (une organisation d’institutions de prévoyance) / Viavoice parue en 2024, 63 % des proches aidants indiquent ne pas avoir informé leur employeur. Il est pourtant essentiel de se rendre visible pour négocier avec l’interlocuteur adapté, en ayant préalablement fait le point sur ses besoins, qui pourront cependant fluctuer.
Tous les managers ne sont pas formés ni sensibilisés au sujet, nous conseillons donc d’en parler d’abord au service RH. Lequel connaît bien les dispositifs à actionner (orientation vers le service social, aides, modalités d’aménagements, congés spécifiques, etc.), et pourra faire le relais auprès du manager pour faciliter le dialogue. Objectif : co-construire les adaptations nécessaires.
Le job crafting devient alors un concept des plus concrets. Il devient possible, en dialogue avec son manager, de redessiner et personnaliser son poste, ses méthodes de travail en adéquation avec ses besoins.
Quand l’aménagement de son activité ne suffit pas…
Parfois, la situation va nécessiter une pause. Et c’est OK. Les parcours professionnels ne sont plus les routes linéaires d’autrefois. En tant que consultant et consultante Apec en conseil en évolution professionnelle (CEP), nous recevons les cadres qui souhaitent reprendre le travail après des mois, voire des années sans activité. Ce qui est l’occasion de mettre les choses à plat.
Grâce à un bilan de carrière, nous voyons par exemple si leurs priorités ont évolué, si de nouveaux secteurs les intéressent, s’il est nécessaire de se former pour réactualiser des compétences, et si elles et ils peuvent valoriser des compétences acquises avec l’aidance.
Et c’est d’ailleurs toujours le cas ! Citons la capacité d’adaptation, les qualités relationnelles, le sens de l'organisation, le leadership inclusif, l’empathie, la gestion de projet, etc. Selon une étude de l'Observatoire des salariés aidants 2023 / Ocirp : 44 % des salariées et salariés aidants interrogés estiment développer des compétences utiles pour l'entreprise. Et 81 % des managers et services RH interrogés pensent que les compétences des salarié.es aidant.es peuvent être un levier de performance pour l’entreprise.
Voilà une excellente raison pour bâtir avec les consultantes et consultants du CEP une stratégie qui permette d’évoquer judicieusement ce statut dans un CV et en entretien. Pour savoir tirer parti, en termes d’expérience, de cette période dans son parcours.
Nous ne le dirons jamais assez : lorsque l’on sort de l’aidance, une carrière peut tout à fait reprendre une courbe ascendante !
Redéfinir sa trajectoire professionnelle
Pour des cadres qui aident un conjoint ou une conjointe, ou un enfant, cette situation peut durer tout au long de la carrière, et n’être pas seulement une parenthèse dans un parcours. Plusieurs n’hésitent alors pas à étudier des formes alternatives d’emploi, comme le freelancing. D’autres pensent à une reconversion plus adaptée à leur situation d’aidant.
Avec le CEP, nous rencontrons régulièrement des cadres qui doivent revoir leur trajectoire professionnelle. Nous les aidons à structurer leurs démarches, à mettre en lumière les formations utiles à leur projet professionnel, les financements à mobiliser, les congés à solliciter pour se reconvertir.
L’aidance constitue un point de bascule personnel et professionnel pour les cadres aidant.es : recevoir un accompagnement fait partie des conditions de réussite !
À propos de Mélanie Houard
Forte d’une double formation en RH et coaching, et d’une expérience en entreprise et en cabinet RH, Mélanie Houard intègre l’Apec en 2011 en tant que consultante en développement professionnel. Au centre Apec de Paris, elle accompagne les cadres à chaque moment clé de leur parcours : recherche du premier emploi, transition professionnelle, reconversion, mobilité interne, prise de poste, etc. Par ailleurs, Mélanie Houard fait partie de la communauté « Relais Handicap » de la Région Île-de-France, afin notamment de développer des partenariats avec des acteurs du handicap. Elle est également référente « Talent senior » au sein de la délégation Île-de-France de l’Apec, un dispositif de mentorat pour les cadres seniors en recherche d’emploi.
À propos de Matthieu Esteve
Matthieu Esteve, consultant en développement professionnel au centre Apec de Paris République, accompagne depuis 7 ans les cadres tout au long de leur vie professionnelle, plus spécialement lors des moments clés qui la jalonnent. Il a bâti son parcours autour de l’accompagnement des personnes pour le compte d’acteurs publics ou privés, et s’est notamment spécialisé en formation professionnelle et création d’entreprise. Attaché à développer une compréhension toujours plus fine des rouages de l'évolution professionnelle, il est attentif aux mutations, y compris émergentes, du marché du travail.
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