« Les TPE-PME ont tout intérêt à engager une réflexion de fond pour mieux explorer les viviers de talents dans les quartiers » Mariam Khattab

Publié le 31/03/2023

Les jeunes résidant dans des quartiers prioritaires se heurtent encore trop souvent à des discriminations de la part des recruteurs dès la lecture de leurs CV. En cause : leur lieu de résidence qui fait l’objet de stigmatisations pas toujours conscientes. Mariam Khattab, directrice générale du cabinet de conseil en stratégie d’inclusion Mozaïk RH, nous aide à comprendre ce phénomène, et propose des actions à mettre en place pour contribuer à le résorber.

 

Depuis quand parle-t-on de discrimination à l’embauche liée au lieu de résidence ?

Le sujet a commencé à émerger véritablement au moment des émeutes des banlieues françaises en 2005. Les images diffusées dans les médias pendant ces trois longues semaines d’affrontements ont mis le doigt sur la fracture sociale qui sépare les habitant·es des cités et le reste de la population. À cette même époque, le « testing » sur CV mené par Jean-François Amadieu* a démontré l’ampleur des discriminations qui existent sur le marché du travail – des discriminations multiples, liées à la couleur de peau, à la religion, au genre, au handicap ou bien, au lieu de résidence. Le 22 octobre 2004, 33 entreprises signaient la Charte de la diversité rédigée par Claude Bébéar, Yazid Sabeg, Laurence Mehaignerie**, pour s’engager à favoriser l’égalité des chances dans l’emploi. C’est à ce moment-là, je pense, que la société et les entreprises françaises ont réellement pris conscience que tous les individus n’avaient pas les mêmes chances d’accéder au marché du travail. 

 

20 ans après, où en est-on ?

Le lieu de résidence fait aujourd’hui partie des 25 critères de discrimination à l’embauche inscrits dans la loi. En théorie, les entreprises françaises n’ont donc pas le droit d’exclure un candidat ou une candidate sur la base de son lieu de domicile. Dans les faits, c’est un peu différent… les mentalités évoluent lentement, et l’on constate que le taux de chômage au sein des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) est toujours 2,7 fois plus élevé qu’ailleurs. Ces dernières années, certaines grandes entreprises ont pris le problème à bras-le-corps, en créant des directions diversité et en définissant des stratégies pour lutter contre les discriminations. Mais les TPE-PME restent plus démunies face à ces questions – par manque de moyens, de temps, et parce qu’elles doivent lutter sur d’autres fronts pour maintenir leur activité dans un contexte économique et géopolitique difficile. Par ailleurs, les discriminations liées au lieu de résidence se confondent avec d’autres discriminations. Il est souvent difficile de faire la part des choses, et de savoir si une personne est discriminée plutôt pour sa couleur de peau, pour sa religion présumée, ou bien pour son lieu de résidence.

 

Comment explique-t-on qu’une personne résidant dans un quartier défavorisé soit discriminée en raison de son lieu d’habitation ?

C’est d’abord le résultat d’un ensemble de représentations négatives et d’idées reçues, véhiculées par les médias, la famille, l’école ou le cercle social, et qui génèrent tout un imaginaire sur les jeunes des banlieues. Cet imaginaire est parfois tellement intégré, que l’on n’en a même plus conscience. Ensuite se pose la question des transports. Les jeunes habitant dans des territoires moins favorisés sont souvent géographiquement isolés des bassins d’emploi. Cette distance, associée aux aléas des transports en commun, peut être perçue comme un risque par la personne chargée du recrutement. Finalement, les candidat·es résidant dans des quartiers défavorisés sont perçu·es comme trop différent·es pour être intégré·es à l’entreprise, et c’est la raison pour laquelle – inconsciemment ou non – leurs CV sont écartés.

 

Quels conseils donnez-vous aux TPE-PME pour lutter contre ces discriminations à l’embauche ?

Le premier levier d’action, c’est la formation. Chez Mozaïk RH, nous avons formé plus de 1 200 managers, collaborateurs et collaboratrices  depuis 2016, et nous sommes convaincus que c’est un moyen très efficace de rendre les entreprises plus inclusives. Notre objectif, à travers ces formations, est d’aider les professionnel·les – les DRH, mais aussi le reste des équipes – à prendre conscience des biais cognitifs qui peuvent influencer leurs décisions, de les sensibiliser aux bienfaits de la diversité en entreprise, et de leur donner des conseils concrets, à partir notamment de mises en situation.
L’autre moyen d’agir contre ces discriminations, c’est de créer la rencontre entre les personnes en poste et les jeunes des QPV. Car c’est seulement en se confrontant à l’altérité que l’on peut faire tomber ses préjugés. Chez Mozaïk RH, nous encourageons les entreprises à se rendre dans les collèges et les lycées de ces quartiers, à échanger avec les étudiant·es, pour mieux les comprendre.
Le troisième levier d’action important est la mise en place de programmes de mentorat, pour permettre à des membres de l’équipe d’accompagner des jeunes dans leur parcours professionnel. 

 

En quelques mots, quels bénéfices les TPE-PME peuvent-elles tirer de cette lutte contre les discriminations à l'embauche ? 

Les TPE-PME ont tout intérêt à engager une réflexion de fond sur ces discriminations, car la diversité a beaucoup à leur apporter : de la créativité, et une capacité à innover et à penser « out of the box » pour répondre au mieux aux besoins de leurs clients. Ce sont des ingrédients indispensables pour booster sa performance, sa culture interne et sa marque employeur ! Pour les entreprises qui ont du mal à recruter, élargir leur horizon peut également accélérer certains recrutements. Chez Mozaïk RH, nous essayons vraiment de faire comprendre aux personnes formées que la lutte contre les discriminations n’est pas seulement une obligation légale : c’est une démarche qui constitue un précieux atout, à la fois pour les individus que pour les organisations.

 

*Jean-François Amadieu est professeur de gestion à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne et directeur de l'Observatoire des discriminations, qui procède à des testings afin de réaliser les premières mesures scientifiques des différentes discriminations l'embauche en France. 

**Claude Bébéar est un homme d'affaires français. Il est responsable de la fusion de plusieurs compagnies d'assurance, jusqu'à la création d'Axa Assurances et en devient Président d’honneur.
Yazid Sabeg est un homme d'affaires français, dirigeant de l'entreprise de services du numérique CS Group. Il a été commissaire à la diversité et à l'égalité des chances de décembre 2008 à juillet 2012.
Laurence est experte dans le dans le domaine de l’impact et de la RSE, et a cofondé Citizen Capital en 2008.

 

À propos de Mariam Khattab
Mariam Khattab est directrice générale du cabinet Mozaïk RH. Depuis 14 ans, elle conseille et accompagne les entreprises publiques et privées dans la mise en place de politiques diversité/inclusion en mobilisant 3 leviers d'expertises ; l’appui au recrutement inclusif, la formation aux enjeux de diversité et la mesure de la diversité.
 

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