« La directive sur la transparence salariale va remettre du pouvoir entre les mains des collaboratrices », Bérangère Couillard, présidente du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.

« La directive sur la transparence salariale va remettre du pouvoir entre les mains des collaboratrices », Bérangère Couillard, présidente du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.

Publié le 08/04/2025

À partir de juin 2026, les entreprises devront se conformer à la directive européenne 2023/970 et communiquer sur les écarts de rémunération entre leurs collaboratrices et leurs collaborateurs. Pour Bérangère Couillard, présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, il s’agit d’une étape clé qui va permettre aux femmes de défendre leurs droits à l’appui d’indicateurs concrets. Mais, selon l’ancienne ministre déléguée, bien d’autres chantiers restent à mener pour combler les inégalités persistantes en matière de rémunération et d’évolution de carrière.

Quels objectifs vise la directive européenne 2023/970 sur l'égalité salariale ? En tant que présidente du Haut Conseil à l'égalité, quel rôle pensez-vous qu'elle jouera en France, et quels seront ses impacts sur les entreprises ?

Bérangère Couillard : La directive sur la Transparence salariale vise à clarifier les écarts de rémunérations au sein d’une entreprise, et à permettre à ses salariées et salariés de réclamer l’égalité salariale si celle-ci n’est pas réelle pour des postes de même niveau de qualification. Les salaires des femmes dans les grandes entreprises ont augmenté plus vite que celui des hommes ces dernières années, car l’index Égalité femmes-hommes a poussé un grand nombre d’entreprises à rééquilibrer leurs rémunérations pour répondre aux exigences de cet index. Mais, à qualification équivalente, il reste encore 4 % de différence entre les salaires des femmes et des hommes. La loi de 1972 est pourtant très claire à ce sujet : « à travail égal, salaire égal ». Cette directive vise donc à corriger ce dernier écart, difficilement perceptible et pourtant bien réel. 

Je considère que tout ce qui va dans le sens d’une plus grande égalité salariale est évidemment à encourager. Cette transparence va remettre du pouvoir entre les mains des collaboratrices, qui pourront identifier et contester plus facilement une injustice dans leur rémunération. Pour autant, elle ne réglera pas tout. Elle n’empêchera pas notamment l’autocensure professionnelle, qui limite aujourd’hui de nombreuses femmes pour demander la rémunération ou le poste qu’elles méritent. Cela n’empêchera pas non plus le problème des temps partiels subis, qui concernent davantage les femmes, largement impactées par l’organisation familiale.

La transparence salariale est souvent citée comme un outil clé pour réduire les écarts de rémunération. Selon vous, comment cette transparence peut-elle réellement changer les comportements au sein des entreprises ?

Tout d’abord, les salariées auront davantage de pouvoir de négociation, car elles seront informées de la situation réelle des rémunérations dans leur entreprise. Elles pourront contester plus facilement les écarts de salaire avec leurs collègues masculins. 

Les syndicats pourront aussi se saisir eux-mêmes des écarts constatés, et revendiquer, pour l’ensemble du personnel féminin, des revalorisations salariales à même de rétablir l’égalité au sein de l’entreprise. Cette égalité étant imposée par la loi depuis 2006, on peut s’attendre à ce que nombre d’entreprises cèdent à ces exigences, car leur manquement serait très facilement identifié. Enfin, il est possible que les affaires jugées aux prud’hommes se multiplient dans les entreprises où la négociation salariale est plus compliquée. Nous pouvons cependant souhaiter que la majorité des cas n’en arrivent pas jusque-là, et que les managers et dirigeantes et dirigeants d’entreprise se saisissent de cette directive pour faire évoluer leur entreprise dans le bon sens.

Quels enseignements pouvons-nous tirer des pays ou des entreprises ayant déjà instauré des mesures de transparence salariale ?

Les entreprises européennes sont encore peu nombreuses à avancer sur ce sujet. Selon l’enquête mondiale sur la transparence des salaires 2024 de Mercer, seulement 7 % des entreprises européennes ont déployé un plan de transparence des rémunérations.

Mais dans certains États américains notamment, comme la Californie ou le Colorado, la transparence salariale est inscrite dans la loi depuis de nombreuses années, et les résultats sont au rendez-vous. Pour les employeurs, c’est une opportunité pour s’aligner sur les valeurs de l’entreprise en termes de diversité, d’équité et d’inclusion, et pour augmenter la satisfaction de leurs employées. Selon cette même enquête, au niveau mondial, près de 7 entreprises sur 10 reconnaissent d’ailleurs que la transparence salariale est une exigence des candidat.es. Dans toutes les régions, leurs attentes sont plus élevées que chez les salarié.es.

Quels sont les principaux défis que les entreprises françaises devront surmonter pour se conformer aux exigences de transparence salariale prévues par la directive ?

Tout d’abord, il est nécessaire que les entreprises françaises comprennent les exigences de cette directive. Selon une étude menée par PageGroup, près d’une entreprise sur deux méconnaît les exigences de cette directive. Or, les entreprises doivent s’y conformer avant juin 2026. Il leur reste donc peu de temps pour mener les études salariales nécessaires, revoir l’architecture des emplois, en la rendant plus claire et structurée ; puis former les équipes RH et adapter les politiques de recrutement et de gestion des rémunérations. Pour celles qui ont déjà intégré les enjeux de diversité, d’équité et d’inclusion, le travail sera moins fastidieux. Mais pour toutes les autres, le chemin sera plus long.

Nous avons aussi collectivement à appréhender le tabou des salaires, qui est très français, et qui devra tomber si nous souhaitons progresser en matière d’égalité salariale. Aux entreprises de relever le défi de la transparence.

Outre la transparence salariale, quelles autres mesures estimez-vous nécessaires pour favoriser une égalité réelle entre les hommes et les femmes en matière de rémunération ?

Dans le rapport « Salaires : 5 ans après l’Index, toujours pas d’égalité », publié par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes en mars 2024, de nombreuses recommandations sont proposées pour faire évoluer l’index. Il s’agit de maintenir un outil de mesure multifactoriel des inégalités salariales, de confier aux pouvoirs publics l’automatisation du calcul de l’index, de renforcer la lisibilité et la transparence des indicateurs d’écart de rémunération, en conformité avec la directive, mais aussi de mieux conjuguer les outils de l’égalité professionnelle avec l’index.

Les deux autres axes de progression, que j’ai évoqués plus tôt, paraissent moins liés à la rémunération directe des femmes qu’à l’organisation du marché du travail, et à l’orientation des jeunes filles vers les métiers les plus rémunérateurs.

Tout d’abord, les femmes sont encore trop souvent dans des situations de temps partiels subis. Avec une offre de mode de garde insuffisante, notamment en milieu rural, la garde des enfants incombe largement aux femmes. Cela représente un frein au plein emploi et à l’évolution de carrière. Les efforts des politiques publiques doivent être concentrés vers ce problème. Le service public de la petite enfance (depuis le 1ᵉʳ janvier 2025, il incombe aux communes d’organiser l’offre d’accueil des enfants de moins de 3 ans sur leur territoire, NDLR) pourrait y remédier en partie. 

Enfin, les femmes occupent davantage les métiers les moins rémunérateurs du marché. Parce qu’elles sont mal orientées, les filles et les jeunes femmes font souvent le choix, dès le plus jeune âge, de filières qui mènent à des métiers peu rémunérateurs, voire précaires. Quand on observe que seulement 24 % des ingénieur.es sont des femmes, on mesure le chemin à parcourir. Il faut inciter les femmes à se diriger vers les métiers d’avenir, du numérique ou technologiques, et briser ce plafond de verre, en leur permettant en parallèle d’atteindre des postes à très haute responsabilité dans les entreprises, encore trop souvent réservés aux hommes.
 

À propos de Bérangère Couillard 

Après avoir poursuivi une carrière de management dans l'alimentaire puis dans le secteur de l'habillement (elle devient en janvier 2016 directrice régionale de la marque de prêt-à-porter française IKKS), Bérangère Couillard est élue députée en 2017. Elle est nommée secrétaire d’État chargée de l’Écologie en juillet 2022, avant d’occuper le poste de ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations entre juillet 2023 et février 2024. Bérangère Couillard a été nommée présidente du Haut Conseil à l'égalité le 16 juillet 2024.
 

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