« Handicap en entreprise, il faut des paroles vraies et surtout des actes ! », Isabelle Barth

« Handicap en entreprise, il faut des paroles vraies et surtout des actes ! », Isabelle Barth

Publié le 06/03/2024

En France, 10% des travailleurs handicapés sont cadres*. Faut-il adopter une communication et un vocabulaire spécifiques pour évoquer leur situation ? Pas si sûr, selon Isabelle Barth, chercheuse, professeure des universités en management, conférencière et auteure de « Manager la diversité, de la lutte contre les discriminations au leadership inclusif ». Et si, au-delà des mots, les personnes handicapées attendaient aussi et surtout des actions concrètes en faveur de la diversité dans l’entreprise ?

 

Pourquoi les mots sont-ils importants lorsque l'on évoque le handicap en entreprise ?

Isabelle Barth : Les mots sont des projectiles. On peut dire des phrases, faire des réflexions qui vont blesser une personne sans s’en rendre compte, souvent parce que l’on ignore qu’elle est handicapée. N’oublions pas que 90% des handicaps sont invisibles. D’autre part, on peut aussi atteindre sans le savoir un parent, un proche d’une personne en situation de handicap. 

C’est pourquoi l’humour et les petites blagues, très problématiques en entreprise, sont à éviter. La phrase assassine et répétitive met réellement en souffrance. L’humour peut d’ailleurs relever du harcèlement. 

 

Communications interpersonnelles, offres d'emploi, supports de communication interne et externe, en réunion : convient-il d'adopter un vocabulaire inclusif de façon diffuse dans tous les pans de la vie de l'entreprise ?

Ce que réclament beaucoup des personnes en situation de handicap, ce n’est pas que l’on fasse du politiquement correct avec des euphémismes très compliqués. Elles ont envie que l’on nomme les choses par leur nom, « aveugle », « autiste », « dyslexique », « paraplégique », etc., et que l’on respecte réellement cette différence. 

Elles sont beaucoup plus à l’aise avec une personne qui dira simplement « porteur de handicap » ou « personne handicapée » mais qui respecte ce handicap, plutôt qu’une autre qui va employer des périphrases qui se voudraient inclusives pour évoquer le handicap… Puis qui, dans ses actes et sa façon de manager, ne sera pas alignée. 

 

Vous considérez donc que la question du vocabulaire est secondaire pour améliorer l’inclusion des personnes handicapées en entreprise ?

En effet, le premier marqueur de la lutte contre les discriminations à l’encontre des personnes handicapées n’est pas le vocabulaire mais le droit à la formation, à la promotion, à la considération de leur manager.

Il peut y avoir de formidables chartes de la diversité et de l’inclusion mais si ces principes ne se vérifient pas concrètement dans l’entreprise, les personnes sont en souffrance. C’est ce que l’on appelle la dissonance cognitive. 

Le vocabulaire compte bien sûr. Encore une fois, pas d’humour, pas de phrases assassines, ni d’expression de mépris, c’est évident. Mais il faut surtout que ce que l’on affirme et ce que l’on écrit se vérifient au quotidien. Si le vocabulaire est cosmétique, ça ne sert à rien ! 

 

Comment diffuser certaines bonnes pratiques lexicales à l'échelle de l'entreprise ? 

La première des choses est de travailler sur les stéréotypes pour les mettre à distance. Pour cela, il faut former les managers à l’inclusion globale, qui comprend le sujet du handicap parmi d’autres. L’objectif ? Éduquer pour faire prendre conscience de certains filtres négatifs par rapport au handicap. 

Former au travers de différents scénarios qui mettent les managers en situation de communiquer avec une personne handicapée est une méthode intéressante. C’est une manière de réaliser qu’ils ou elles peuvent avoir des propos blessants et des blagues douteuses. Si l’on travaille, via la formation, à la prise de conscience, normalement, le vocabulaire suit. Des réflexes vont s’acquérir, comme celui de réfréner l’humour. 

Créer des guides dédiés spécifiquement au langage du handicap n’est pas forcément une bonne idée. Cela risque d’enfermer les personnes dans leur handicap. Et c’est l’une de leurs plus grandes craintes. 

Si l’on souhaite réaliser un guide de la communication inclusive, il faut qu’il s’adresse à tous les publics. Pointer une population, c’est la stigmatiser. Plus vous êtes dans une adaptation spécifique, plus vous risquez de mettre la personne dans la situation d’être « le handicapé », de porter davantage le focus sur son handicap. 

Au fond, le vrai langage inclusif, c’est de montrer que dans l’entreprise vous venez vraiment comme vous êtes. Par exemple, en valorisant le handicap dans sa communication parmi tous les types de diversité. C’est ce que fait la SNCF en mettant en lumière toute la diversité de leurs salarié·es sur leurs supports. 

 

Comment choisir les mots justes ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples de termes à privilégier ?

Il convient de trouver des formules qui prouvent que l’on ne parle pas spécifiquement du handicap, en utilisant du vocabulaire qui s’adresse à tous et toutes ! Lorsque l’on installe une rampe d’accès pour les fauteuils roulants, beaucoup de personnes seront contentes de l’avoir : le livreur, la femme enceinte, la personne qui s’est cassé la jambe au ski ! Par exemple, utiliser le terme « accessible » ou « facile d'accès » plutôt que « réservé aux handicapés ».

Il faut être simple et pragmatique, montrer que l’on n’a pas réservé ses mots aux personnes en situation de handicap. 

 

In fine, la communication inclusive ne bénéficie-t-elle pas à tous les publics de l'entreprise ?

Bien sûr ! En disant « nous » pour toutes et tous sans faire de distinction, on s’adresse aussi à toutes les personnes qui se sentent différentes dans l’entreprise. Ne pas cataloguer cela participe vraiment à l’inclusion de tous les publics. 

 

*chiffre de la Dares (Direction de l'Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques) publié en octobre 2023. 

 


À propos de l’auteure : 

Isabelle Barth est chercheuse, professeure des universités en management, conférencière et auteure. Elle travaille tout particulièrement sur les sujets du management de la diversité, des seniors, du fait religieux dans le monde professionnel, de l’égalité femme-homme. Elle intervient en entreprise via masterclasses, ateliers et conférences sur le thème de la diversité. Isabelle Barth a notamment signé l’ouvrage « Manager la diversité : de la lutte contre les discriminations au leadership inclusif ». 
 

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