Embauche des cadres étrangers : « Il faut arrêter d’avoir un prisme juridico-administratif, et l’envisager à l’échelle humaine »
Malgré le manque de candidates et candidats français, des entreprises peuvent hésiter à se tourner vers des talents étrangers. Cette option est souvent jugée complexe, coûteuse et chronophage, mais ça n’est certainement pas l’avis de Maïa Bourreille ! La directrice générale et fondatrice de Yoon France, association qui accompagne les parcours professionnels des personnes étrangères en France et les entreprises dans leurs actions d’intégration, tord le cou à certaines idées reçues. Pour elle, les entreprises ont au contraire tout à gagner à embaucher des cadres étrangers et à développer une culture de l’intégration.
Quelles sont les principales craintes ou résistances des entreprises face à l’embauche de talents étrangers, et comment les surmontez-vous ?
Maïa Bourreille : Un certain nombre de dirigeantes et dirigeants ont des peurs liées à la lourdeur des démarches administratives, mais également au coût du recrutement. Cette croyance provient de la taxe de l'OFII (Office français de l'immigration et de l'intégration), qui représente en réalité 55 % d’un mois de salaire brut. C’est-à-dire un investissement dérisoire au regard d’une décision d’embaucher, le plus souvent en CDI. Il faut d’ailleurs savoir que cette taxe ne concerne pas l’embauche d’une personne (cadre ou non) ayant le statut de réfugié.
Concernant les démarches, les entreprises en réalisent déjà une multitude, et parfois bien plus complexes. C’est à la portée de chaque entreprise d’effectuer celles relatives à ce type de recrutement. Il suffit de vouloir s'engager ! Des entreprises craignent le temps qu’elles s’imaginent y consacrer sans certitude que le recrutement aboutisse.
Nous préconisons de prendre le temps de développer une politique de recrutement et d’intégration des talents étrangers, pour mieux appréhender et maîtriser les processus et les délais inhérents à ces recrutements. Ces délais sont entre deux mois et quelques semaines seulement parfois. Cela vaut vraiment le coup, car ces collaborations durent généralement plusieurs années, ces salariés étant en général extrêmement fidèles à leur employeur !
Il faut arrêter d’avoir un prisme juridico-administratif, et l’envisager à l’échelle humaine. L’entreprise peut décider de lancer un processus en mettant par exemple en place un duo RH/manager qui impulse une vraie démarche d’intégration des collaboratrices et collaborateurs étrangers.
Quels sont les avantages pour une entreprise à embaucher un cadre étranger ? En particulier lorsqu'il existe un vivier de talents locaux ?
L’entreprise reflète la réalité du pays dans lequel elle se trouve. En l’occurrence, la société française est un pays de diversité. Cette diversité représente justement un facteur d’attractivité, mais aussi un fort levier de fidélisation. Les jeunes générations y sont particulièrement sensibles. Elles sont plus fières de travailler pour une entreprise qui soutient une cause humaniste : l’accueil de l’autre. Le recrutement d’un cadre étranger fédère les équipes, apporte de la nouveauté, de la curiosité, une ouverture décidée d’en haut. C’est un véritable plus en matière d’ambiance positive au travail.
La diversité constitue également un levier de performance. Si l’ensemble des collaborateurs et collaboratrices pensent pareil, ont des profils plutôt identiques, on se prive de beaucoup d’atouts ! Le recrutement de cadres étrangers apporte d’autres manières de fonctionner et de penser, aide à évoluer, à se transformer. C'est un facteur clé d'innovation. Une ou un collaborateur étranger arrive avec une histoire, un parcours personnel et professionnel. C’est une vraie richesse pour l’entreprise.
Pouvez-vous partager un cas où une entreprise a vu une transformation positive grâce à l’embauche d’un talent étranger ? Et comment avez-vous contribué à ce succès ?
En 2021, nous avons aidé Food Service Vision (une entreprise de données dans le secteur de l’alimentation) à intégrer Abdullah, cadre de nationalité indienne. Il avait été repéré lorsqu’il était étudiant à l’Institut Paul Bocuse de Lyon, et a bénéficié d’un accompagnement de quatre mois et demi, en collaboration avec la responsable RH et son manager.
À titre d’exemple, Abdullah a bénéficié de cinq séances de coaching pour travailler notamment sur ses besoins et leur expression auprès de son manager, sur la compréhension de son environnement, sur les marqueurs interculturels comme le rapport au temps, l’organisation, etc. Avec nous, il a également suivi une formation de français adaptée à ses besoins linguistiques professionnels, car il ne le parlait presque pas. Pour l’entreprise, ce fut un succès, car Abdullah a pleinement satisfait aux attentes. L’ambiance était très positive ! Il a tissé des liens étroits avec ses collègues, à l'intérieur comme à l'extérieur de l’entreprise. Trois ans après, Abdullah prévoit de se lancer dans l’entrepreneuriat, et Food Service Vision le voit partir à regret, tout en le soutenant dans son projet.
Mais cette première expérience d’embauche d’un cadre étranger a clairement ouvert la voie de l’accueil. Food Service Vision est depuis passé de 1 à 5 salariées et salariés étrangers, soit 15 % de ses effectifs. L’entreprise nous a encore récemment sollicités pour l’intégration d’une apprentie algérienne, et pour diffuser plus profondément la culture de l’intégration au sein de son équipe. C’est bien la preuve de la richesse que cela apporte !
Comment faciliter l’intégration au sein de l’entreprise et des équipes ?
Je dirais qu’il faut commencer par développer une culture de l’accueil et de l’inclusion, en sensibilisant la direction et les managers. L’objectif est de les aider à appréhender les enjeux, et à éveiller les consciences sur ce sujet avec des ateliers, des mises en situation, des tables rondes.
La formation est également essentielle. Par exemple, chez Yoon, nous délivrons entre autres des formations à destination des collaboratrices et collaborateurs étrangers et français (notamment sur l’interculturalité, les droits, la culture du réseau, la communication). Nous considérons que ces formations peuvent également être suivies par l’ensemble des équipes, en mixité, pour faire de l’accueil et de la compréhension mutuelle un sujet partagé par tous. Le manager doit aussi être formé, car il a un rôle clé dans la création d'un environnement sécurisant. Il doit savoir accueillir les doutes, les craintes et les besoins de la nouvelle recrue, tout en répondant aux attentes de l'équipe et de l’entreprise. Cela passe notamment par sa manière de s’exprimer à l’écrit comme à l’oral, par une disponibilité ajustée, afin de se rendre plus accessible et compréhensible.
Des temps d’échanges informels sont également importants avec les équipes. Ils permettent de faire le point régulièrement sur la situation au quotidien, et d’évoquer d’éventuelles incompréhensions à désamorcer.
Quelles sont les démarches administratives à suivre pour embaucher un cadre étranger ?
Concernant les ressortissantes et ressortissants de l’Union européenne, de l’Espace économique européen (EEE), de Suisse, d’Andorre, de Monaco ou Saint-Marin : ils sont autorisés à travailler en France sans démarche administrative spécifique.
Si la personne est déjà sur le territoire français et qu’elle dispose d’un droit au séjour, dans la majorité des cas, ce titre de séjour lui permet de travailler. La mention est d’ailleurs apposée sur son document.
Selon la situation (la nationalité, le titre de séjour détenu avant l’embauche, ou pour une régularisation par le travail), mais aussi pour prolonger son titre de séjour pour la durée du contrat, ou si la personne se trouve à l’étranger, il s’agit alors d’un « import de main-d’œuvre étrangère » qui peut requérir de demander une autorisation de travail.
L’employeur doit alors accompagner le salarié pour déposer un dossier en ligne de « demande d’autorisation de travail » sur le site de l’ANEF (Administration numérique pour les étrangers en France). Il s’agit de 6 plateformes préfectorales rattachées au ministère de l’Intérieur.
Nous encourageons les entreprises à d’abord recruter les personnes étrangères qui sont présentes en France. En effet, il existe déjà ici des compétences solides et de nombreux talents hautement qualifiés à recruter. Ces personnes ayant déjà commencé leur processus d’intégration en France, leur intégration en entreprise sera d’autant plus facilitée et rapide.
À propos de Maïa Bourreille
Maïa Bourreille est la directrice générale de YOON, qu’elle a fondée en 2017. L’association accompagne les parcours professionnels des personnes étrangères en France, et les entreprises dans leurs actions d’intégration. Maïa Bourreille a précédemment occupé pendant plus de dix ans des postes de coordination et de développement de projets au sein d’organisations associatives, privées et publiques, dans les champs des migrations, de la solidarité internationale et de la formation professionnelle. Elle a également conseillé des entreprises et des acteurs publics dans le développement de démarches de changement et démarches de qualité.