Anticiper le futur du travail : cadres et entreprises en première ligne du changement

Face aux bouleversements rapides du monde du travail, anticiper l’avenir représente un défi majeur pour les entreprises comme pour les cadres. Jérémy Lamri, entrepreneur et chercheur reconnu, partage sa méthode pour construire des scénarios du futur du travail, en mettant l’accent sur la préparation collective, la durabilité et l’évolution des compétences. Un éclairage concret pour comprendre comment chacun peut, dès aujourd’hui, agir sur le travail de demain.
Comment établissez-vous des scénarios du futur du travail ?
Je pars toujours d’une conviction simple : on ne peut pas prédire l’avenir, mais on peut s’y préparer. Construire des scénarios du futur du travail, ce n’est pas jouer à Madame Irma, c’est organiser notre imagination collective autour de ce qui pourrait arriver.
Concrètement, je croise plusieurs sources : les grandes tendances démographiques, sociales, technologiques et écologiques ; les signaux faibles que l’on repère dans la recherche, les startups, ou dans les pratiques des pionniers ; et enfin les transformations profondes de la culture du travail. À partir de là, on imagine différents futurs plausibles.
L’idée n’est pas de dire lequel aura lieu, mais d’identifier les ruptures possibles et les manières de s’y adapter. Un scénario où l’IA prend une place centrale n’a pas les mêmes implications qu’un scénario où la transition écologique rebat toutes les cartes. L’important, c’est d’apprendre à se projeter et à se préparer à plusieurs avenirs en même temps.
Comment agir collectivement pour construire l’avenir du travail ?
Aucun acteur ne peut y arriver seul. Ni les entreprises, ni les citoyens, ni l’État. Ce que j’observe, c’est que le changement se joue dans la capacité à créer des coalitions, des alliances inédites entre organisations, territoires, institutions et individus.
Pour les cadres, cela signifie sortir d’une logique purement individuelle de carrière pour entrer dans une logique contributive : comment est-ce que je participe à un projet collectif, comment je construis des solutions qui dépassent mon poste ou mon entreprise ? Pour les organisations, cela veut dire accepter d’ouvrir leurs frontières, de partager leurs pratiques et parfois même leurs ressources avec d’autres.
Le plus grand obstacle, aujourd’hui, c’est la tentation du court terme. On se replie sur l’urgence, sur la rentabilité immédiate, et on oublie que le travail de demain se construit maintenant. La peur du changement joue aussi : beaucoup redoutent de perdre plutôt que d’imaginer ce qu’ils pourraient gagner.
Le rôle de la durabilité dans le futur du travail
Je suis convaincu que la durabilité ne sera pas un supplément d’âme, mais le cœur de la compétitivité. Un emploi ou une organisation qui ne s’inscrit pas dans cette logique finira tôt ou tard par disparaître, car nos ressources naturelles, notre climat et nos sociétés ne laisseront pas le choix.
Cela va transformer nos modes de collaboration. Les entreprises devront réduire leurs silos, mutualiser davantage, développer des chaînes de valeur circulaires et inclusives. La diversité sera une force centrale, non pas parce que c’est un “sujet sociétal à la mode”, mais parce que dans un monde complexe et incertain, il faut croiser les expériences, les cultures, les points de vue pour inventer des solutions viables. Mais pour que le futur soit positif, il faut que travailler demain permette de conjuguer performance, responsabilité et impact positif.
Quelles innovations en matière de formation et d’évolution des compétences ?
L’évolution des compétences est le nerf de la guerre. Si nous voulons que l’industrie française reste vivante, il faut passer d’une logique ponctuelle de formation à une culture d’apprentissage permanent.
On voit déjà émerger des solutions prometteuses : des plateformes qui permettent de cartographier les compétences en temps réel, des pédagogies hybrides qui mêlent expérimentation, mentorat et intelligence artificielle, ou encore des dispositifs qui donnent plus d’autonomie aux salariés dans leur parcours de développement.
L’avenir de la formation, ce n’est pas d’empiler des modules e-learning, mais de donner à chacun les moyens de rester acteur de ses propres évolutions, dans la durée. Cela implique aussi de valoriser des compétences souvent invisibles : la capacité à collaborer, à gérer la complexité, à rebondir face à l’échec. Ces compétences dites “transversales” ou “soft skills” sont en réalité les fondations de toute adaptation.
Quel message-clé pour Élan Vert l’Industrie ?
Pour moi, le message est simple : ne restez pas spectateurs. Le futur du travail ne se décidera pas ailleurs, il se construit par vos choix, vos pratiques, vos engagements.
Élan Vert l’Industrie, le 4 novembre 2025, est une occasion rare de se retrouver, de croiser des regards différents, et de comprendre ensemble les grandes transitions qui nous attendent. À celles et ceux qui viendront, je veux dire : osez imaginer ce que vous pouvez changer dans votre quotidien, osez poser les vraies questions, et repartez avec la conviction que vous pouvez être moteurs de ce futur.
La pire erreur, ce serait de penser que “quelqu’un d’autre s’en occupera”. Le futur du travail, comme le futur de la société, c’est notre affaire à tous et toutes, et c’est maintenant que ça se joue.
A propos :
Jérémy Lamri est entrepreneur et chercheur, reconnu internationalement pour ses travaux sur les compétences et les transformations profondes du travail. Co-fondateur et CEO de Tomorrow Theory, studio d’innovation RH, il a également cofondé Le Lab RH, Monkey Tie et le Hub France IA. Titulaire d’un doctorat en psychologie de Paris Descartes, diplômé en physique d’Oxford et en stratégie de HEC Paris, il est auteur de 14 ouvrages dont plusieurs primés, conférencier international et professeur à Sciences Po Paris. Il préside également l’association citoyenne Les Émergences, qui œuvre pour un futur souhaitable.
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