« Les entreprises doivent être conscientes de la situation des aidantes et aidants », Simon de Gardelle, directeur de l’Association française des aidants

« Les entreprises doivent être conscientes de la situation des aidantes et aidants », Simon de Gardelle, directeur de l’Association française des aidants

Publié le 05/12/2023

En France, 9,3 millions de personnes soutiennent au quotidien un ou une proche en perte d'autonomie ou en situation de handicap. Ces aidant.e.s font face à de nombreux défis et peinent parfois à concilier vie professionnelle et vie personnelle. Simon de Gardelle, directeur de l’Association française des aidants, nous explique comment les managers, RH et responsables de TPE/PME peuvent se positionner face à cette situation, pour mieux la comprendre et l’accompagner.

Qui sont les personnes que l’on désigne par le terme d’« aidant » ?

Simon de Gardelle : L’aidant est celui qui accompagne au quotidien une ou un proche malade, en situation de handicap ou dépendant du fait de l’âge. Cet accompagnement peut prendre différentes formes : soins, tâches ménagères, soutien psychologique, démarches administratives, accompagnement à l’éducation et à la vie sociale, etc. Dans tous les cas, il s’agit d’une aide régulière et soutenue (un voisin qui rend visite à une personne dépendante 2 fois par semaine n’est pas considéré comme un aidant), mais qui n’est pas pour autant professionnalisée. L’aidante ou l’aidant n’est pas un professionnel de santé qui intervient à domicile, et cette personne a généralement une carrière professionnelle en parallèle.

Justement, à quoi ressemble la vie professionnelle d’un·e aidant·e ? 

On parle souvent, à propos du rôle d’aidant, d’un « second métier ». C’est un terme qui en dit long sur ce que vivent les 5,8 millions d’aidantes et d’aidants qui ont un emploi salarié en France. Être aidant, c’est en effet devoir jongler en permanence entre deux réalités : d’un côté sa vie professionnelle, avec son rythme, ses obligations et son agenda, et de l’autre sa vie d’aidant, au domicile de son proche pour assurer les gestes de la vie quotidienne. Ces deux réalités se superposent souvent, et c’est toute la difficulté de cette « double vie ».

Quelles sont les conséquences concrètes de cette situation, pour l’aidant·e et pour son entreprise ?

D’abord, une souplesse est nécessaire dans l’organisation des journées de travail : l’emploi du temps de l’aidant·e doit s’adapter, parfois de manière impromptue, aux besoins du proche, ou bien aux dysfonctionnements possibles des relais à domicile (aides-soignants, infirmières, etc.). Ensuite, une charge mentale accrue, puisque l’aidant ou l’aidante doit rester joignable, répondre au téléphone, gérer la coordination des soins ou des relais, etc. C’est au final une multitude de choses à faire, à penser, à décider, qui viennent s’ajouter à une « to-do » professionnelle souvent déjà longue. Tout cela se traduit par de la fatigue, du stress, des baisses de concentration, des absences momentanées ou encore des retards, qui peuvent être source d’incompréhension de la part de l’équipe ou du manager, si la situation n’est pas discutée.

Mais les conséquences ne sont pas seulement négatives. La vie d’aidant développe ou renforce certains savoir-faire spécifiques : coordination de différent·es interlocuteurs et interlocutrices autour d’un parcours de soin, capacité à monter des dossiers administratifs pour obtenir des aides, gestion de situations complexes, résistance au stress ou encore qualités d’organisation sont autant de compétences valorisables pour l’entreprise.

Quel rôle joue le quotidien professionnel pour les aidantes et aidants ? Est-ce une difficulté supplémentaire, ou au contraire une bouée de sauvetage ?

Malgré toutes les difficultés que j’ai évoquées précédemment, seulement 8 % des salarié·es aidant·es arrêtent totalement de travailler. Pourquoi une si faible proportion ? D’abord parce que, comme tout le monde, les aidant·es ont besoin de gagner leur vie. Mais au-delà de la simple dimension économique, le travail représente pour ces personnes un lien avec le reste de la société, un lieu à soi, une bulle d’oxygène indispensable à leur équilibre. 

Comment les entreprises se saisissent-elles aujourd’hui de la question ? La situation des aidantes et aidants est-elle bien appréhendée ?

Elle l’est de mieux en mieux, mais d’importantes disparités existent encore entre grandes entreprises et TPE-PME. Côté grandes entreprises, on voit se développer des initiatives comme le don de jours de congés, ou bien une plus grande flexibilité sur le télétravail. Mais l’on reste très en deçà des politiques mises en œuvre sur la question du handicap par exemple, qui sont maintenant bien ancrées dans les conventions collectives. Côté TPE-PME, les choses s’organisent souvent de manière informelle et spontanée pour accompagner la personne aidante, mais il existe encore peu de démarches officielles.

Comment expliquez-vous cette prise en compte insuffisante ?

La notion d’aidant est une notion finalement assez récente, qui a émergé dans l’espace public au début des années 2000, et a donné lieu à de premières dispositions juridiques en 2015, avec la loi d’adaptation de la société au vieillissement. Ce n’est que depuis cette date que les premiers droits à destination des aidant·es ont été instaurés : droit au répit, congé de proche aidant, congé de solidarité familiale, congé de présence parentale, etc. L’allocation journalière de proche aidant (AJPA), elle, a été mise en place en 2020. Du temps est donc encore nécessaire pour démocratiser le sujet – un Français sur deux  ignore ce qu’est un aidant –, renforcer la communication sur la situation des aidant·es, et généraliser les bonnes pratiques.

Quels conseils donneriez-vous à une entreprise qui souhaite créer un environnement de travail plus inclusif pour ses salarié·es aidant·es ?

Avant de penser « action », prenez le temps de regarder autour de vous et d’observer ce que d’autres entreprises ont pu mettre en place, afin de vous inspirer de leurs pratiques et d’obtenir quelques conseils concrets. Penchez-vous également sur votre propre entreprise, qui a peut-être déjà pris des mesures en matière de conciliation vie personnelle / vie professionnelle, sur des sujets connexes tels que la parentalité. Ensuite, appuyez-vous sur l’expérience et la connaissance de partenaires extérieurs comme l’Association française des aidants, qui a l’habitude d’accompagner les managers et les RH dans la structuration de leur démarche. Sous oublier, bien sûr, d’embarquer l’ensemble de l’entreprise dans le projet, et de fédérer un collectif (RH, managers, médecins du travail, syndicats, représentant·es du personnel, etc.) autour de la question.

En termes de dispositifs, n’hésitez pas à proposer à vos salarié·es aidant·es des aménagements à différents niveaux : horaires, lieu de travail, déplacements, ou encore nature des missions. Des congés spécifiques leur seront également proposés, dont les modalités sont expliquées sur notre site. En complément de ces actions, n’oubliez pas de mettre l’accent sur la sensibilisation et la formation, qui sont primordiales. Par ailleurs, il y a un travail important d’accompagnement à mener : d’abord auprès des managers et de l’ensemble des collaborateurs et collaboratrices, mais aussi auprès des aidantes et aidants, qui hésitent parfois à s’exprimer sur leur situation par peur d’être stigmatisés et qui n’osent pas communiquer leurs besoins. 

 

À propos de Simon de Gardelle

Après un premier cursus en école de commerce, Simon de Gardelle travaille pendant 4 ans comme consultant en gestion de projet, management et stratégie. Il reprend ensuite ses études pour obtenir un Capes, et devient professeur de sciences économiques et sociales pendant 9 ans en Seine-Saint-Denis. En disponibilité, il occupe ensuite les postes de responsable de programmes et de partenariats chez Unis-Cité, puis de délégué régional d’Île-de-France pour JobIRL, association favorisant l’égalité des chances et l’orientation active des jeunes du réseau d’éducation prioritaire.
C’est chez Unis-Cités que Simon de Gardelle entre pour la première fois en contact avec cet univers. Il y coordonne les projets de 600 jeunes en service civique. L’Association française des aidants, dont il est Directeur depuis août 2023, se situe à la croisée de ses différentes expériences, qui ont pour points communs la solidarité et la convivialité.
 

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