« La crise du milieu de carrière est une étape saine, qu’il faut gérer pour rester pilote de son parcours professionnel », Valérie Féret-Willaert

« La crise du milieu de carrière est une étape saine, qu’il faut gérer pour rester pilote de son parcours professionnel », Valérie Féret-Willaert

Publié le 18/10/2024

Envies d’ailleurs, démotivation abyssale, perte de sens profonde… Et s’il s’agissait d’une crise du milieu de carrière ? Selon une étude Apec*, près d’un cadre sur deux y est confronté. 46 % des cadres entre 45 et 54 ans révèlent effectivement avoir connu un questionnement de fond ou une réorientation pendant la décennie écoulée. Une situation jugée difficile à surmonter. Comment reconnaître ce démon de midi professionnel ? Comment y faire face avec efficacité ? Avant tout en faisant preuve de lucidité et de pragmatisme, selon Valérie Féret-Willaert, consultante et associée du cabinet Transition Plus, qui conseille les cadres dans la gestion des grandes étapes de leur carrière.

Comment définir la crise de milieu de carrière : de quoi parle-t-on et qui peut-elle toucher plus particulièrement ? 

Le mot crise est très souvent, voire toujours, associé à des événements négatifs. Revenons pourtant à l’origine grecque de ce mot : « krisis » signifie « décision, jugement ». Il y a plutôt là l’idée d’un moment décisif où l’on fait un tri. Transposé dans le milieu professionnel, il s’agit de trier entre ce que je n’aime plus, ce que j’aime encore aujourd’hui dans mon travail, ce à quoi j’aspire. 

La crise du milieu de carrière survient généralement entre 45 et 50 ans, voire 55 ans, à un moment où les personnes sont moins dans le tunnel du quotidien, notamment avec des enfants qui ont grandi. On se reconcentre sur soi, et cela génère des remises en question. Parmi les personnes que j’accompagne, j’entends beaucoup ces phrases : « est-ce que je suis à ma place ? », « est-ce que j’aime encore ce que je fais ? », « je ne me vois plus dans mon emploi, mais je ne sais pas ce que je voudrais faire », « est-ce que ce travail m’enrichit encore ? », etc.

À ce moment-là, on a en général 20 ans de carrière derrière soi, que l’on a consacrés à acquérir des compétences et une expertise avec le but d’être reconnu.e. Mais il reste encore plus de 20 ans devant… et ça n’est pas rien ! Lors de la crise de milieu de carrière, on s’interroge justement sur ce que l’on va faire de ces années. Ce qui caractérise cette période, c’est le besoin d’ajouter du sens, de créer de l’envie, du fun, alors que jusqu’ici, ça n’était pas prioritaire. 

Il ne faut pas mettre tout cela sous le tapis, car il est normal et même sain de se questionner. Prenons cette remise en question comme une source d’opportunités pour la suite. C’est comme cela que l’on reste pilote de son parcours professionnel. Le pire est de finir par se mordre les doigts de ne pas avoir géré cette crise, d’avoir été dans le déni.

La crise de milieu de carrière est-elle aussi la crise de milieu de vie (parentale, familiale) ?

Pas nécessairement, et heureusement ! Pour faire face à la crise du milieu de carrière, il convient d’avoir une vision holistique, qui consiste à prendre en compte sa situation dans sa globalité. Les critères personnels, familiaux et financiers entrent forcément en jeu dans nos choix professionnels. Mais cela ne veut absolument pas dire que l’on remet en question tous les pans de sa vie.

Comment se traduit-elle concrètement ? Quels sont les signes, même faibles, qui permettent de reconnaître la crise ?

Il faut effectivement distinguer la crise d’un simple trou d’air au travail. L’accumulation de signes est un critère. On retrouve à la fois le manque de motivation, le sentiment de stagnation dans l’entreprise, un épuisement, un décalage très important entre ses valeurs et celles de son entreprise, que l’on ressent plus intensément qu’avant. Tout ceci ayant un impact sur sa santé et son bien-être : problèmes de sommeil, boule au ventre en arrivant au bureau, consommation d’alcool, irritabilité. Si ces signes s’installent sur la durée, pendant plusieurs mois, on est très probablement face à une crise.

Évitons également de faire l’autruche ! Écoutons ce que disent les proches, si elles et ils nous trouvent fatigué et irascible. Ils sont généralement un bon baromètre.

Y a-t-il d'abord des questions essentielles à se poser avant d’agir ? Faut-il nécessairement se faire accompagner ? 

Effectivement, il y a plusieurs questions fondamentales sur lesquelles réfléchir. 

Premièrement, demandez-vous : « qu’est-ce que je veux, et qu’est-ce que je ne veux plus ? ». Exemple : je veux continuer dans un poste de management, mais je ne souhaite plus travailler à 50 kilomètres de chez moi. 

Ensuite, « quels sont mes besoins fondamentaux aujourd’hui, à cette période de ma vie ? ». Cela peut être une quête de sens plus importante, que l’on va peut-être aller chercher dans d’autres secteurs comme l’associatif, l’écologie, l’éducation, etc. On peut également évoquer la flexibilité, avec le besoin de rééquilibrer sa vie, et donc d’avoir plus d’autonomie dans son organisation.

Enfin, « quels sont mes facteurs de motivation ? Qu’est-ce qui me fait me lever le matin ? ». Cela peut être aider, transmettre, être utile, mais aussi relever de nouveaux défis, ne pas être dans la routine, etc.

Une fois que l’on a mis tout ça sur la table, voyons ce que le job actuel remplit aujourd’hui de ces attentes, et ce qu’il ne remplit pas. Si le décalage est trop important, il est délétère de rester seul.e. Face à un miroir, il y a peu de répondant… Et finalement, le risque, c’est de ne pas vraiment gérer la crise. Il est possible de s’adresser à une ou un consultant en gestion de crise, à un coach, à un mentor externe qui peut être de bon conseil. Il est nécessaire d’être aidé pour bien structurer cette gestion de crise. Un bilan de compétences, le CEP (conseil en évolution professionnelle), un bilan de carrière avec une ou un expert, peuvent également constituer une bonne manière de sortir du tunnel des réflexions incessantes, et de prendre du recul avant de décider. Ce sont des outils précieux. 

Quelle forme peut, justement, prendre un plan d’action concret pour surmonter la crise ?

Chaque situation est unique : il est donc compliqué de donner des recommandations qui correspondent à tous les cas de figure. 

Mais il faut avoir en tête plusieurs fondamentaux. Pour résoudre la crise du milieu de carrière, il ne faut jamais perdre de vue l’incidence personnelle et financière que les réponses à ses questionnements peuvent avoir. C’est ce qui permettra d’aboutir à une résolution réaliste, cohérente et pérenne de la crise. J’ai en tête un cadre dirigeant qui m’a dit un jour « j’en ai marre des Comex, je veux ouvrir un restaurant ! ». Nous avons regardé les répercussions financières d’être à son compte et personnelles de travailler en horaires décalés. 

Ensuite, il faut du temps et de la disponibilité d’esprit pour définir le projet d’après. Ce qui est très difficile à accomplir lorsque l’on est encore en poste. Si l’on a acquis la conviction que l’on doit partir, il est compliqué d’avoir un pied dedans et un pied dehors. La réalité, c’est que souvent, il faut couper. Soit en négociant son départ – et dans ce cas, il faut vraiment être bien accompagné pour mettre en place une stratégie de négociation – soit en partant en congé sabbatique ou en congé de formation. Et j’insiste à nouveau : attention aux conséquences financières ! 

Il y a une autre issue, qui consiste à réinventer son poste actuel. Si mon poste remplit plus de 80 % de mes objectifs, je peux peut-être agir sur les 20 % restants qui ne me conviennent plus. Ceci, en communiquant avec mon manager et/ou la DRH. On peut construire avec eux la manière de faire évoluer son poste. En envisageant par exemple d’autres types de missions, une mobilité géographique, davantage de flexibilité avec plus de télétravail ou une organisation différente.

La recherche de nouvelles opportunités, la reconversion, la création d'entreprise sont d'autres options face à la crise de milieu de carrière. Comment s’assurer de faire le bon choix ?

Gérer une crise de milieu de carrière, c’est être face à un champ des possibles, et peu à peu le réduire pour aboutir à des projets réalistes. Parfois, changer d’entreprise peut effectivement être suffisant. Lorsque l’on a des aspirations de reconversion ou de création d’entreprise, je conseille d’enquêter, d’activer son réseau pour échanger avec des personnes qui ont ce vécu. Il faut se confronter à la réalité, aller chercher des retours d’expérience pour se conforter… ou pas. 

Sur le papier, une idée peut être séduisante. Et en discutant, on peut s’apercevoir que ça n’est pas vraiment fait pour soi. Il faut être le plus pragmatique possible. 

 

*Étude Apec « Moments clés dans les parcours professionnels des cadres, tout sauf un long fleuve tranquille », mars 2023.

 

À propos de Valérie Féret-Willaert

Valérie Féret-Willaert a été directrice marketing de plusieurs grandes marques de l’agroalimentaire pendant 15 ans. Après avoir elle-même été confrontée à une crise du milieu de carrière, elle a engagé voilà 10 ans une reconversion professionnelle dans le secteur des RH. Elle a alors rejoint le cabinet Transition Plus, qui accompagne les cadres dirigeant.es et cadres supérieur.es dans la gestion des étapes décisives de leur carrière, en particulier celle de la crise de milieu de carrière. Valérie Féret-Willaert est aujourd’hui consultante et associée du cabinet. 

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