« Le freelancing en entreprise est une innovation RH qui nécessite d’expérimenter à petite échelle », Catherine Barba

Si le recours aux freelances est déjà bien établi dans des secteurs comme la tech, l’IT et la communication, il commence à s'immiscer dans d'autres domaines. Pour Catherine Barba, entrepreneure et fondatrice d’Envi, l’école des indépendants, cette évolution représente une véritable innovation RH. Elle prône une approche expérimentale et progressive, incitant les entreprises à développer une freelance policy sur mesure, pour intégrer les travailleuses et travailleurs indépendants tout en relevant les défis pour transformer durablement leur propre organisation.
Pour quelles raisons le recours aux freelances peut-il représenter une option intéressante pour les entreprises ?
Les bénéfices sont majeurs pour les entreprises ! Dans un contexte de pénurie de talents, notamment dans l’IT et la tech, recourir aux freelances donne accès à des compétences rares et pointues.
D’autre part, face aux incertitudes économiques actuelles, certaines entreprises ont une exigence de flexibilité. Il est plus rapide de faire appel à un ou une freelance sur une mission ponctuelle, même de plusieurs mois, que de s’engager dans un processus de recrutement classique, qui est plus long. Les entreprises doivent se poser la question de la compétence, au-delà du statut, et se demander où sont les meilleurs profils.
Par ailleurs, le freelance travaille avec d’autres clients, a eu d’autres expériences, il arrive avec une fraîcheur, une vision et des points de vue différents. Il est très intéressant pour les entreprises de « se frotter » à cette altérité et de s’enrichir de cette diversité. Faire infuser en interne l’état d’esprit entrepreneurial véhiculé par les freelances constitue un levier capital de transformation des entreprises.
Quels types de défis l'hybridation des statuts au sein des entreprises (salarié ou freelance) pose-t-elle aux RH ?
Les RH sont habitués à œuvrer avec des personnes sous statut salarié, le premier des défis est donc la nouveauté. Avec des profils freelances, les RH sont face à la nécessité de faire autrement et d’inventer en marchant. Il est d’abord important de changer de regard. La ou le freelance n’est pas qu’un prestataire ; mais un profil à considérer comme « un salarié du dehors », c’est-à-dire comme un collaborateur ou une collaboratrice à part entière, mais différent.e, et qui apporte des compétences. Il y a une vraie réflexion à mener, qui va au-delà des RH, et doit englober le service des achats (qui est souvent l’unique service en lien avec les freelances dans beaucoup d’entreprises), mais aussi la direction générale.
Toute transformation passe par ce changement de regard, et par le fait de considérer l’apport des freelances comme un atout pour le développement et la performance de l’entreprise. Le freelancing est un nouvel outil dans la boîte à outils des RH.
Développer le recours à des indépendantes et indépendants rend-elle nécessaire la création d’une véritable freelance policy ? Quels en sont les points clés ?
À vrai dire, il n’y a pas de règles générales en termes de freelance policy, et il y a assez peu de maturité sur ce sujet. Le freelancing n’est pas sur le podium des top sujets pour les RH et les dirigeantes et dirigeants, même si, depuis quelques années, le volume des entreprises qui mènent des expérimentations augmente. Nous sommes encore dans une phase d’évangélisation.
L’entreprise doit cependant réfléchir à la manière dont elle souhaite intégrer des freelances en fonction de ses process et de ses valeurs. La freelance policy s’invente au fil de l’eau. En matière d’innovation (car cela en est une !), il faut commencer à petite échelle, expérimenter en mode agile, réaliser des POC (proof of concept, NDLR) et tirer des enseignements de façon très empirique.
Quels sont les besoins ? Comment identifie-t-on les bons talents freelances en fonction de son besoin de compétences ? Comment les attire-t-on ? Comment est-ce qu’on les onboarde ? Comment les fidélise-t-on ? Voilà quelques questions à se poser. Cela sous-entend souvent de revoir les process RH classiques.
Par exemple, chez Schneider Electrics, le recours aux freelances est devenu une priorité RH. Et pour cela, ils ont embarqué des managers de différents services de l’entreprise, et ont formé des binômes avec les RH et les achats afin de réfléchir aux process à mettre en place pour intégrer des freelances. Ils se sont également associés à une plateforme digitale (Malt, en l’occurrence) pour progresser sur ce sujet.
Il est vrai que les plateformes de mise en relation entre freelances et entreprises représentent une aide intéressante pour se lancer. Elles ont la culture freelance, c’est un plus pour se faire accompagner et monter en compétences sur les spécificités du freelancing. Elles simplifient et sécurisent également l’accès à ce nouveau pool de compétences, notamment sur les aspects réglementaires et administratifs.
Comment les entreprises peuvent-elles intégrer efficacement les freelances ?
L’enjeu est de créer pour ces talents du « dehors » les conditions d’un engagement aussi fort qu’avec les salariées et salariés de l’entreprise. On ne parle pas uniquement de compétences, mais aussi de partage des valeurs. Il est important de s’assurer que l’on matche sur ces points via un pré-onboarding fait d’échanges et de rencontres.
Chez Envi, l’école des indépendants que j’ai co-fondée, lorsque nous avons besoin de compétences freelances, nous remettons aux candidat.es un questionnaire de 20 questions élaboré avec des spécialistes en neurosciences pour savoir s’ils et elles valident nos valeurs.
Ensuite, au moment de l’onboarding, il faut faire sentir aux freelances que vous les considérez au même titre qu’un collaborateur ou une collaboratrice. Certaines entreprises, comme Mazars, remettent un book d’accueil qui illustre l’ADN, les valeurs, et qui fait le récit de l’entreprise. Il faut éviter de cloisonner : l’idéal, si on le peut, est d’envisager une journée d’intégration unique qui inclut salarié.es et freelances. Il convient également d’inviter les freelances aux rituels et événements de l’entreprise. Tout comme il est important de définir clairement la mission, le livrable attendu, et de respecter la liberté d’organisation des freelances. Il est également nécessaire de réaliser un suivi en faisant des points d'étapes réguliers sur la prestation, comme le ferait un manager avec un collaborateur « classique ».
On peut avoir tendance à l’oublier, mais l’offboarding est également important ! La fin d’une mission n’est pas toujours définitive. Un retour d'expérience est donc essentiel.
Comment rassurer les équipes internes pour qu’elles ne voient pas les freelances comme des rivales et des rivaux, et réorganiser le travail pour faciliter leur collaboration sur des projets communs ?
On travaille bien avec les personnes que l’on connaît bien ! Je dirais d’initier très tôt la rencontre avec les collaborateurs et collaboratrices internes, dès le pré-onboarding. Ensuite, pourquoi ne pas organiser une rencontre mensuelle pour faire le point sur les relations et les projets.
La parole des équipes doit se libérer. Aux managers de recueillir les peurs (comme celle d’être mis en concurrence, voire remplacé) et de les désamorcer, par exemple en expliquant bien les rôles de chacun et chacune dans les missions. Cela facilite ensuite l’organisation du travail.
Pourquoi ne pas également inviter un ou une salariée qui a déjà collaboré avec un freelance à venir faire un retour d’expérience. Dans ce domaine, il y a encore des choses à inventer pour rassurer et embarquer tout le monde. On pourrait envisager des leviers de motivation, à base de bonus, pour les équipes hybrides, afin que cela se passe du mieux possible. Le freelancing n’est pas une menace, mais une opportunité !
Le recours aux freelances va-t-il s'étendre à plus d'entreprises et devenir une pratique courante pour améliorer leur performance ?
La tendance du recours aux freelances est encore émergente, et la proportion des freelances en entreprise assez faible, même si elle progresse. Mais je suis convaincue que la pratique va se développer.
Pourquoi ne pourrait-on pas imaginer demain employer un directeur financier en freelance ? Je pense que de plus en plus d’entreprises vont y aller, car on ne peut pas se passer de cette opportunité en termes de compétences et de diversité. Les entreprises qui innovent, qui expérimentent avec des freelances, ont tout intérêt à partager leurs expériences pour en inspirer d’autres. Il ne faut pas être frileux, car on peut tout à fait commencer à petite échelle !
À propos de Catherine Barba
Depuis 2022, Catherine Barba dirige Envi, l’école de vente des indépendants. Elle est également la fondatrice du « Do Tank Future of Work », un collectif composé de 8 organisations de tous secteurs (dont Mazars, Orange, Safran, BNP Paribas, L’Oréal…) qui partagent leurs avancées et expérimentent ensemble ce que sera le travail de demain. Catherine Barba est par ailleurs une multi-entrepreneure experte de l’e-commerce et de la transformation numérique en France et aux États-Unis, où elle a été présidente de la French Tech New York. Elle a investi dans une vingtaine de start-up, et est administratrice de l’association 100 000 Entrepreneurs et de Renault.