« Face au harcèlement, il faut montrer que l’entreprise n’a pas la main qui tremble », Alexis Berthel
Confrontés aux différentes dimensions du harcèlement au travail (moral, sexuel, discriminatoire), quelle posture les services RH doivent-ils adopter ? Comment faciliter l’alerte, accélérer le déclenchement d’une enquête, puis la mener efficacement ? Quelles formes peuvent prendre l’accompagnement, la protection des victimes et la prévention du phénomène ? Alexis Berthel, DRH du groupe PANTHERA (spécialisé dans les solutions de sécurité des biens et des personnes, comptant 500 collaborateurs et collaboratrices), partage ses retours d’expérience et bonnes pratiques.
En entreprise, une situation de harcèlement peut être difficile à déceler, les collaborateurs et collaboratrices victimes peuvent ne pas oser en parler. Comment faciliter à la fois la libération de la parole et l’alerte ?
Alexis Berthel : Avec une procédure identifiée, la parole peut se libérer plus facilement. L’ensemble des gestionnaires RH rencontrent des cas de harcèlement, le plus souvent moral, il est donc indispensable qu’ils mettent en place une procédure pour encadrer les signalements. C’est LA priorité.
À l’échelle de notre groupe, nous avons établi une procédure avec les partenaires sociaux dans le cadre d’un « comité prévention harcèlement ». Nous avons défini les interlocuteurs et interlocutrices que les victimes peuvent solliciter. Il s’agit du DRH, du secrétaire de la commission santé sécurité, du référent harcèlement, du responsable Qualité, Santé, Environnement (QSE). Nous mettons également à disposition un canal de communication par e-mail, un numéro de téléphone dédié, le numéro du médecin du travail référent, ainsi qu’une ligne d’écoute et de soutien.
Pour que cela soit efficace, il faut évidemment que cette procédure de signalement soit connue des collaborateurs et collaboratrices. Elle doit être communiquée et affichée dans l’entreprise.
Définir une procédure claire libère la parole, rassure sur le fait que l’entreprise crée un cadre sécurisé pour les victimes. De cette manière, tout le monde sait également qu’il y aura une réaction de la direction.
Quel est le rôle des RH après le signalement d’un cas de harcèlement ?
La loi ne précise pas la méthode, mais indique que l’entreprise doit se saisir des faits et enquêter. À chacune de choisir le format pour traiter les signalements.
Le RH n'est pas nécessairement la personne alertée en premier par une victime. En revanche, c’est la personne centrale dans tout le déroulé de la procédure : c'est elle qui prend la main pour organiser la suite.
Lorsque je reçois un signalement, je recueille de premières informations (qui sont les victimes et les auteurs présumés, quelle forme prend le harcèlement dénoncé). À ce stade, il faut être capable d’anticiper de premières mesures d’éloignement pour protéger les victimes le temps de l’enquête. Puis, je convoque le comité harcèlement, qui va investiguer.
Il s’agit d’un comité paritaire et mixte (deux femmes et deux hommes) composé de deux représentant·es du personnel et de deux représentant·es de l’entreprise. J’ai choisi de ne pas participer aux enquêtes. Il peut y avoir des actions disciplinaires à mener, je souhaite donc garder mon impartialité par rapport aux dossiers souvent émotionnellement chargés.
Quelles sont les grandes étapes de l’enquête ? Y a-t-il de grands principes à respecter ?
Avant tout, il faut se concentrer sur les faits, pas les ressentis. Les faits doivent être matériellement vérifiables ou corroborants, et les témoignages concordants.
Généralement, les enquêtes suivent ce déroulé : on détermine les faits allégués, les personnes à auditionner, les documents à collecter, ou encore la distribution des tâches au sein du comité harcèlement qui va enquêter. Lequel a un devoir de confidentialité absolue sur tout ce qu’il va découvrir, et sur l’identité des témoins qui souhaitent rester anonymes.
La méthodologie la plus efficace est dans cet ordre :
Entendre les plaignants.
Collecter les preuves (écrits, mails, textos, photos, vidéos, enregistrements).
Définir le mobile du harcèlement.
Identifier les témoins éventuels et les entendre.
L’auteur présumé est la dernière personne entendue. Pour établir des faits probants et fiables, les questions doivent être similaires pour tous. Cette enquête doit débuter sans délai, dans la journée du signalement, si possible, ou sous 24 à 48 h.
Lorsque la machine est lancée, il n’est pas opportun de réaliser une médiation ou une confrontation. Les deux parties ne sont pas dans un contexte favorable pour trouver une résolution commune. Cela peut être violent. Selon moi, ça n’est pas un outil à utiliser au moment de l’enquête.
Les petites entreprises ne sont pas forcément aussi bien structurées que les grandes pour traiter les cas de harcèlement, que leur conseillez-vous ?
Elles peuvent s’inspirer des pratiques des grandes entreprises en confiant l’enquête à un collaborateur et une collaboratrice en interne dans un esprit de parité. Il y a aussi d’autres possibilités : un intervenant externe peut se charger des investigations (psychologue du travail, cabinet spécialisé en QVT et enquêtes harcèlement, cabinet d’avocats).
L’inspection du travail a également un devoir de conseil, et tient à disposition des listes d’acteurs à solliciter, qu’elle peut communiquer aux entreprises.
Quel accompagnement mettre en place pour soutenir les victimes ?
Il convient avant tout d’éloigner la victime de l’auteur présumé et de supprimer les interactions possibles le temps de l’enquête. La victime peut être orientée vers la médecine du travail. Un dispositif d’accompagnement, de soutien et d’écoute peut lui être proposé comprenant, par exemple, des séances avec un·e psychologue. J’encourage le service RH à communiquer avec la victime pour l’accompagner, la rassurer, lui expliquer que l’entreprise agit. Les victimes ont besoin de voir que les choses bougent : il faut l’informer sur le déclenchement de l’enquête, et lui montrer que sa demande a été prise en compte.
Nous faisons face à de plus en plus de cas de harcèlement horizontal, c’est-à-dire entre collègues. Les managers et manageuses jouent donc un rôle important en faisant preuve de bienveillance, de prévenance, en surcommuniquant, en prenant régulièrement des nouvelles de la victime au cours de la journée de travail.
Quelle position avoir face au harceleur ou à la harceleuse présumé·e le temps de l’enquête ? Ensuite, jusqu’où peuvent aller les sanctions ?
Au début de l’enquête, des mesures conservatoires peuvent être prises. Si je dispose d’éléments probants dès le signalement, il peut m’arriver de mettre rapidement à pied, à titre conservatoire, le harceleur présumé. Il s’agit d’une suspension du contrat de travail qui implique qu’il ne se présente plus dans l’entreprise. On peut également changer cette personne d’affectation, ou modifier les horaires pour éviter que les parties se croisent, lorsque c’est possible.
À l’issue de l’enquête, selon la gravité des faits, les sanctions peuvent prendre la forme d’une mise à pied, d’un avertissement, ou bien d’actions de sensibilisation-formation, car, parfois, les gens ne se rendent pas compte que leur comportement relève du harcèlement. Nous pouvons bien sûr aller jusqu’au licenciement.
Comment mieux prévenir le harcèlement au sein de l’entreprise ?
La prévention passe indéniablement par l’engagement fort de la direction sur ces sujets, par l’affirmation d’une position claire et très ferme. Je suis radical sur ce sujet… il ne faut laisser aucune brèche.
La formation du top management, des managers, la sensibilisation des membres des équipes sont cruciales. Il est très important de le faire, pour que chacun identifie ce qui constitue du harcèlement. On peut opter pour l’e-learning, avec l’étude de cas pratiques. Le format de la causerie est également très efficace. Le manager réunit son équipe pendant 5 à 10 minutes maximum pour discuter d’un sujet préventif. C’est un outil de santé et sécurité au travail qui sert de mémo et de rappel régulier. Le volet disciplinaire est aussi un outil préventif : il faut communiquer sur les sanctions prises.
Le suivi compte également dans la prévention du harcèlement. Même plusieurs années après un cas, je prends toujours la température auprès du manager. J’ai besoin de sentir le climat social, la cohésion, mais aussi de voir si des signaux faibles réapparaissent comme des mots déplacés, des réflexions et propos douteux qu’il ne faut pas minimiser. Cela permet d’agir immédiatement et de faire des rappels à l’ordre, voire de sanctionner.
À chaque instant, il faut montrer que l’entreprise n’a pas la main qui tremble.
À propos d’Alexis Berthel
Alexis Berthel est DRH du groupe PANTHERA, où il œuvre depuis 2015 à l’animation et à la gestion de la politique RH et RSE du Groupe. Il exerce également les mandats de président de l’ANDRH (Association nationale des DRH) Savoie Mont-Blanc, et est membre du bureau national de l’ANDRH. Il œuvre pour la justice en qualité de président du conseil de prud’hommes d’Aix-les-Bains.