Racisme en entreprise : « le témoin est essentiel pour créer un environnement plus inclusif » Maya Hagege, déléguée générale de l'AFMD
L’entreprise n’est pas épargnée par le racisme. Selon un sondage Ifop*, 8 % des salarié·es en ont été victimes pour leur origine ethnique et culturelle, 6 % indiquent avoir été l’objet de propos insultants ou humiliants pour des croyances religieuses supposées ou réelles, 10 % à propos de leur région, commune, quartier d’origine. Face à ces situations, Maya Hagege, déléguée générale de l'Association française des managers de la diversité (AFMD), estime que les témoins ont un rôle essentiel à jouer : celui d’identifier ces comportements, et d’alerter en interne puis à l’extérieur de l’entreprise si cela est nécessaire.
Comment se manifeste le racisme ordinaire en entreprise ?
Maya Hagege : Le racisme constitue une attitude d’hostilité et de haine liée à des préjugés, à la culture, au mode de vie, à la religion, à l’origine ethnique d’une personne. En entreprise, il prend la forme de propos insultants, infériorisants, stigmatisants et essentialisants [associer des caractéristiques à une couleur de peau ou à une origine, NDLR].
Le racisme peut être présent dès les phases de recrutement, mais aussi en mobilité interne, dans l'attribution ou le refus d'un poste en fonction de l'origine d'une personne.
Au quotidien, le racisme se manifeste de différentes manières : via des « blagues » répétées sur les accents, des remarques sur les étrangères et étrangers, des a priori exprimés sur telle ou telle communauté, des insultes dissimulées au travers de « plaisanteries » comprenant des mots dégradants.
Tant pour le racisme que pour les actes LGBTphobes, le témoin est un fort levier d’inclusion dans l’entreprise. Même si elle peut avoir peur, même si cela peut être très compliqué, la personne est un acteur ou une actrice à part entière d’une culture d’entreprise et d’un environnement de travail inclusifs.
En quoi le rôle des témoins est-il crucial ?
Je dirais que la témoin ou le témoin a un rôle continu et diffus. Elle ou il peut agir sur ce qui ne se voit pas immédiatement et ne se dit pas forcément.
Les personnes qui subissent régulièrement des agressions racistes ont une charge mentale importante. Ce qui peut mener à un isolement, de surcroît lorsque l’on est la seule personne noire ou asiatique. Elles se mettent également une pression énorme au quotidien, ont tendance à vouloir surperformer. Sensibilisée sur ce point, une personne témoin, collègue ou manager, peut évite certaines conséquences, comme les burn out et les risques psychosociaux. Il est possible d’intervenir pour davantage d’équité dans la définition des objectifs et l’atteinte des objectifs au sein de l’équipe. Par exemple, en prenant la parole si l’on constate une répartition inégale des tâches.
Si je suis témoin de blagues et d'insultes racistes envers un collègue, comment agir ?
Si la personne témoin est la ou le manager, elle ou il rappelle le cadre juridique avec une phrase telle que « sache que les propos que tu tiens sont une injure raciste et une incitation à la haine. Ils sont punissables par la loi. Ils t’engagent pénalement, tu peux être sanctionné·e ». On peut également rappeler qu’un collaborateur ou une collaboratrice s’expose à une sanction disciplinaire par l’entreprise, comme une mise à l’écart de quelques jours et une mention dans son dossier RH.
Lorsque la personne témoin est un ou une collègue, il ou elle se positionne comme un allié envers la victime, qui, souvent, ne dit rien. Il ou elle doit répondre sur le vif en nommant toujours les faits : « je suis mal à l’aise avec cette blague. C’est une blague raciste, car elle infériorise et humilie ».
Souvent, quand on dit clairement les choses, que l’on relève que cette blague n’a rien d’anodin, il y a une prise de conscience. Cela constitue aussi un élément déclencheur pour initier le dialogue sur ce sujet au sein des équipes.
Si la personne visée n’est pas là, ou que la « blague » ne s’adresse à personne en particulier, je recommande d’agir de la même manière. D’autant que ces situations impactent l’ambiance, et créent un climat délétère.
De façon générale, en tant que témoin, à qui s’adresser ? Quels modes concrets d'action adopter en interne ?
Les grands groupes ont un ou une responsable diversité. La plupart des PME ont également une personne référente harcèlement**. Le racisme constituant un harcèlement moral, elle est à même de traiter ces questions.
Ce sont donc de bons interlocuteurs et interlocutrices pour exposer une situation. Ils et elles vont étudier le cas pour caractériser les faits et lancer une enquête.
S’il y en a une dans l’entreprise, la cellule d’écoute et de traitement des réclamations représente une autre possibilité pour la ou le témoin de réaliser un signalement de façon anonyme. Parfois, la cellule est 100 % interne, parfois externalisée.
S’il n’y a ni personne référente, ni cellule d’écoute, la direction des ressources humaines est un autre interlocuteur pour réaliser un signalement.
Dans quels cas privilégier un recours externe ?
Le recours externe est la meilleure option lorsque les faits se déroulent dans une très petite structure avec peu de salarié.es. Les interlocuteurs externes peuvent être le :
- Défenseur des droits (le témoin peut également faire un signalement direct sur la plateforme du Défenseur des droits antidiscriminations.fr.),
- le MRAP (Mouvement contre le racisme et l’amitié entre les peuples),
- la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme),
- SOS Racisme.
Mais ça n’est pas simple : le recours externe officialise et formalise la démarche. Cela peut créer d’emblée une relation conflictuelle avec l’entreprise. Il faut également savoir que les traitements sont longs et demandent beaucoup de patience. En 2022, le Défenseur des droits a reçu 125 000 réclamations et traité 100 000 appels. Pour autant, je maintiens qu’il est nécessaire d’agir.
* Étude Ifop pour MakemyCV : « Les Français face à la lutte contre le racisme et la question des discriminations au travail », mars 2022.
** Depuis le 1er janvier 2019, une personne référente harcèlement moral et sexuel doit être nommée dans toutes les entreprises disposant d'un CSE.
A propos de Maya Hagege :
Œuvrant depuis 2011 au sein de l’Association française des managers de la diversité (AFMD), Maya Hagege y occupe le poste de déléguée générale depuis 2016. Forte de 185 adhérents (grands groupes, PME, collectivités, universités, grandes écoles, associations), l’AFMD co-anime et co-rédige enquêtes et études sur les sujets de l’inclusion et des discriminations dans les organisations. L’AFMD édite également de nombreux contenus et kits pédagogiques, et délivre des recommandations aux personnes qui, en entreprise, sont chargées de la mise en œuvre des politiques RH, RSE et inclusion.
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