« La déconnexion est l’affaire de tous ! », Stéphane Yaïch

« La déconnexion est l’affaire de tous ! », Stéphane Yaïch

Publié le 07/07/2025

En place depuis 2017, le droit à la déconnexion avait pour vocation première de permettre aux salarié.es et managers de préserver une séparation entre vie personnelle et professionnelle. Toutefois, avec l'essor du télétravail, cette frontière a évolué. Selon Stéphane Yaïch, fondateur de « Chasseur de stress », la déconnexion ne doit plus se limiter aux soirées, week-ends et vacances. Il est également crucial de gérer les usages numériques excessifs tout au long de la journée, et ce, à l'échelle de l'entreprise.

Avec la généralisation du télétravail, comment les cadres gèrent-elles et gèrent-ils vraiment la déconnexion ? Observez-vous qu'ils réussissent à réduire les sollicitations numériques ? Qu'avez-vous constaté huit ans après l'introduction du droit à la déconnexion ?

Stéphane Yaïch : Initialement, la loi de 2017 a été pensée pour définir des limites à la connexion, et le concept de télétravail était alors du domaine de la science-fiction. La crise du Covid a tout bouleversé. Les cadres ont dû s’adapter, et travailler dans des conditions parfois difficiles, notamment avec la superposition des univers professionnels et personnels. La surexposition digitale s’est généralisée, et ce qui était de l’ordre de l’obligation réglementaire avant 2020 est devenu une nécessité absolue. Pour ma part, en tant que consultant et conférencier, les demandes d’interventions sur le sujet de la déconnexion se sont multipliées depuis les trois dernières années.           
Pendant la crise sanitaire, les cadres ont pris de mauvaises habitudes et les ont gardées. Avant 2020, 78 % des cadres avaient déjà l’habitude de se connecter à leur entreprise sur leur temps de vie personnelle. Cela ne s’est pas arrangé depuis, bien au contraire. Le syndrome du stress numérique a touché des personnes qui jusque-là n’étaient pas touchées. Il faut bien comprendre que ce stress numérique est généré par trois facteurs : l’hyperconnectivité, le multitasking (sollicités en permanence, les cadres jonglent entre une multitude de tâches et d’outils) et l’infobésité (la surcharge informationnelle, dont l’e-mail est le premier vecteur).

La multiplication des usages a engendré une multiplication des conséquences sur la santé mentale et physique des collaborateurs, et plus particulièrement des cadres : surcharge mentale, baisse des capacités cognitives que sont l’attention, la concentration et la mémoire, augmentation des troubles oculaires, tensions musculaires et même obésité.

Sans des clés concrètes émanant de l’entreprise, il est difficile pour les cadres de réduire les sollicitations numériques.  

Comment les cadres peuvent-elles et peuvent-ils concrètement faire respecter leur droit à la déconnexion ? Quelle routine de déconnexion peuvent-ils suivre et quels outils peuvent les aider ?

Nous pensons souvent que l’entreprise ou les facteurs extérieurs sont les seuls responsables de notre stress numérique. Pourtant, une part de ce stress résulte aussi de nos propres choix et habitudes. Collaborateurs, collaboratrices et managers ont un rôle important à jouer pour mieux le comprendre et l’alléger.

Les mauvais réflexes sont ancrés : se connecter en dehors des horaires de travail, répondre rapidement à un mail en quelques minutes, profiter d'une pause tout en parcourant son fil Instagram ou Facebook, ou jeter un œil à ses mails durant les week-ends et congés.

À l’heure de la transformation digitale, déconnecter, cela ne veut pas dire tout couper, mais cela peut vouloir dire tout changer. Cela implique d’interroger ses comportements face au numérique, de faire le point sur les utilisations futiles, voire inutiles des outils numériques au fil de notre journée, et de se poser des questions sur les bénéfices cachés de nos usages ! J’aime parler d’écologie numérique, qui consiste à faire le tri dans nos usages, et à comprendre ce qui nous pollue pour mieux assainir notre environnement digital.

Cette écologie numérique peut reposer également sur l’intelligence collective au service du bien-être de tous et toutes, à l’échelle d’un service, d’une direction ou de toute l’entreprise.La déconnexion consiste à prendre le meilleur du numérique en apprenant à se protéger de ses excès.

On peut couper les notifications sonores et visuelles, qui sont d’importants perturbateurs. On peut aussi indiquer lorsque l’on est occupé sur les messageries d’entreprise et les outils collaboratifs. Mais ces actions individuelles ne peuvent fonctionner que si elles entrent dans une logique de groupe reposant sur le respect mutuel et la bienveillance.

Le télétravail a brouillé la frontière entre vie professionnelle et personnelle. Comment les cadres peuvent-elles et peuvent-ils maintenir cette séparation et éviter une surcharge numérique, même à domicile ?

La majorité des salarié.es et managers que j’ai interrogés sur le temps de transport économisé en télétravail m’ont confié utiliser ce temps gagné à travailler. La clé de l'équilibre vie pro/perso repose sur le respect des horaires de travail habituels. On évite donc de consulter sa boîte mail à la table du petit-déjeuner ou d’envoyer des mails en soirée.     

Pour marquer la frontière, je conseille de créer un sas mental entre le temps de vie professionnelle et le temps de vie personnelle. Il consiste en une frontière psychologique qui vise à laisser derrière soi la charge mentale personnelle lorsque l’on commence sa journée de travail, et à s’alléger du poids de sa journée pro en la clôturant avec un geste rituel. Le soir, on peut, par exemple, éteindre et refermer son ordinateur, ou, si l’on a un bureau, on ferme la porte pour signifier que la journée est terminée, dans ce même esprit. Mentalement, il s’agit d’accompagner ce geste physique de la phrase « Ma journée de travail est terminée »

Par ailleurs, pendant la journée, passer du mode multitâche au mode monotâche permet de réduire les interruptions multiples qui nuisent à l’efficacité et rallongent le temps de travail. 

Certains cadres peuvent apprécier une forme de flexibilité, qui leur permet de répondre à des mails ou de se connecter quand ils le souhaitent, à travailler de manière décalée. Comment garder cette souplesse d'organisation tout en évitant le piège de l'hyperconnectivité ? 

Même si l’on est tenté par cette souplesse, elle doit rester exceptionnelle. Ce n’est pas parce que l’on a toujours fait comme ça que l’on doit continuer à le faire.

À partir du moment où l’on prend conscience de la nocivité des usages numériques et de leur impact sur la santé physique et mentale, il ne faut pas tergiverser. Il est temps de passer à l’action.

L'application du droit à la déconnexion est une responsabilité partagée : la personne « managée » comme le manager ont un rôle à jouer pour le respecter et se discipliner. Comment faire lorsque le manager ne respecte pas la frontière ? 

Accompagner la déconnexion, c'est accompagner un changement, parfois difficile, car il touche directement l'individu, sa relation au numérique, à ses outils, mais également sa relation au travail, sa relation aux autres ou à son manager.

Or, le manager est au cœur de la démarche de déconnexion numérique. Celui ou celle qui appelle, envoie des mails ou des messages à toute heure instaure, souvent inconsciemment, une culture d’instantanéité qui peut générer du stress. Et un manager soumis à une pression importante peut, sans le vouloir, la transmettre à son équipe. Son exemplarité est donc essentielle pour faire respecter le droit à la déconnexion.

Pour que ce droit soit effectif, un travail collectif est nécessaire : les managers doivent non seulement respecter ce droit, mais aussi éviter de juger un ou une salariée qui l’exerce.

Pour avoir des résultats, il est donc nécessaire de mener un travail commun à l’échelle de l’entreprise, car il s’agit d’un véritable enjeu de santé et de qualité de vie au travail.      

Des entreprises adoptent des chartes internes de la déconnexion précisant les règles globales d’utilisation des outils, et adaptées aux contraintes des métiers. On établit ainsi un cadre commun des usages numériques. Dans ces chartes, on peut choisir les canaux de communication que l’on privilégie, et déterminer comment on les utilise. Cela permet par exemple de réguler l’usage de l’e-mail. 

Certaines entreprises sont allées jusqu’à instaurer des « Green days », des journées sans e-mails pour généraliser les habitudes de déconnexion. 

Mais, dans d’autres entreprises, c’est la culture managériale qui va devoir être transformée, pour laisser place à un management plus attaché au bien-être collectif.      

Cela étant posé, il reste compliqué pour un cadre de mettre le doigt sur un dysfonctionnement d’un manager, et c’est bien pour cela que les règles doivent venir du top management. Si un collaborateur ou une collaboratrice souhaite cependant marquer la limite, il convient d’adopter la communication non violente avec un échange sur ce principe : « J’ai constaté que tu m’as envoyé un e-mail à une heure tardive. Est-ce que tu penses que l’on pourrait faire autrement à l’avenir ? ». Le but est de rechercher une solution commune.

Quels sont les bénéfices concrets observés chez les cadres qui parviennent à instaurer un véritable droit à la déconnexion dans leur vie professionnelle ? 

Si l’on crée des règles et que l’on s’y tient, il y a de vrais bénéfices. Nos capacités cognitives sont meilleures, la concentration, l’attention, la mémoire, la vigilance (qui sont les premières fonctions atteintes par l’hyperconnectivité) sont améliorées. Cela présente in fine un impact positif sur la performance. On observe également une baisse significative du stress. 

Vous considérez que, pour que les bienfaits de la déconnexion soient durables, il est nécessaire de la mettre en œuvre à tous les instants de nos vies. Est-ce si simple pour les hyperconnectés que nous sommes tous et toutes… ou presque ? 

Tout est affaire d’autodiscipline, et c’est un « hyperconnecté qui se soigne » qui vous le dit ! Par exemple, je proscris le smartphone dans la chambre, la salle de bain et lors des repas. Mes e-mails n’arrivent pas sur ma montre connectée que je porte en permanence. Et lorsque je constate que tout mon entourage est rivé sur l’écran de son téléphone, je m’interdis de sortir le mien par simple réflexe. Évitons que notre portable soit notre doudou en toutes circonstances !

Notre cerveau met 21 jours à changer une habitude. C’est faisable à condition d’adopter une diète numérique de façon progressive.    

 


À propos de Stéphane Yaïch

Ancien cadre dans un groupe du secteur de la communication, Stéphane Yaïch a fondé son entreprise « Chasseur de stress » en 2016, à la suite d’un burnout qui l’éloigne du monde professionnel pendant deux ans. Il s’empare alors des sujets liés au bien-être au travail, à la gestion du stress et du stress numérique, mais également à la déconnexion. Il anime des conférences et des ateliers « Déconnecter c’est changer » et « Déconnecter sans tout couper » dans des entreprises, des collectivités et des associations. Il est également formateur en e-learning. Stéphane Yaïch est par ailleurs co-auteur du livre Pro en gestion du stress (éditions Vuibert).
 

Voir tous nos conseils