Écologie et télétravail : « il est important d'évaluer tous les impacts, même les moins favorables », Félicité de Maigret, directrice associée chez Greenworking
Moins de trajets domicile-travail, économies d’énergie pour les entreprises : à première vue, le télétravail permet de réduire les émissions de CO2 et les dépenses énergétiques des organisations. Mais certains effets rebond invitent à nuancer cette première impression. Quelles solutions pour que le bilan reste positif ? Félicité de Maigret, Directrice associée chez Greenworking, nous livre quelques clés pratiques.
La généralisation du télétravail est-elle une bonne nouvelle pour l’environnement ?
Félicité de Maigret : Oui, toutes les études montrent que le télétravail a un impact bénéfique sur l’environnement, et cela à plusieurs niveaux.
Le premier impact, et de loin le plus significatif, est bien sûr celui de la réduction des trajets domicile-travail, avec tous les effets positifs que cela peut engendrer : baisse importante des émissions de CO2, réduction de la congestion routière, transports en commun moins saturés et donc plus attractifs… Ces effets sont variables selon les pratiques et le nombre de jours de télétravail, mais ils restent importants dans tous les cas.
En parallèle, le télétravail permet une diminution des déplacements professionnels, y compris chez certaines professions traditionnellement très nomades comme les équipes commerciales ou les consultantes et consultants, qui ont plus systématiquement recours aux outils de visioconférence.
Autre effet positif : la réduction des surfaces de bureau – du fait de la baisse de leur taux d'occupation –, et donc une empreinte environnementale plus faible, que ce soit en matière de construction, d’entretien ou de consommation des bâtiments.
Enfin, de manière peut-être plus anecdotique, on observe une corrélation entre le développement du télétravail et une diminution de certains consommables – papier, fournitures, gobelets… – utilisés au sein de l’entreprise.
Le bilan semble donc positif ; néanmoins, l'est-il à 100% ? Néglige-t-on des impacts négatifs par ricochet ?
Effectivement, il est important de prendre en compte la totalité des impacts du télétravail, y compris ceux qui sont moins favorables à l’environnement. L’idée n’est pas de diaboliser le télétravail, dont le bilan reste globalement très positif, mais d’être conscient ou consciente que, comme souvent, tout n’est pas parfait à 100 %.
D’abord, les trajets quotidiens ne sont pas exclusivement professionnels. J’ai dit précédemment que le télétravail permettait de réduire les déplacements domicile-travail. Mais des trajets en voiture vers le lieu de travail étaient parfois mutualisés avec des nécessités de la vie privée : faire les courses ou chercher les enfants à l’école. Ces micro-déplacements persistent en dehors de tout objectif professionnel, même s'ils ont tendance à être associés à des mobilités douces, lorsque c’est possible.
Ensuite, travailler à domicile consomme de l’énergie. Il est important de tenir compte de la hausse des consommations d’énergie à domicile – lumière, chauffage, électricité, etc. – qui viennent s’ajouter aux dépenses énergétiques des bureaux. Mais là encore, c’est à nuancer : les maisons sont souvent chauffées toute la journée, télétravail ou non, et la mise en place de nouvelles organisations type «flex office» réduisent la portée de ces effets rebonds.
Enfin, les usages numériques ne sont pas neutres. Le télétravail est souvent synonyme d’augmentation des usages numériques, avec notamment un essor sans précédent de la visioconférence et des flux vidéo. Ces pratiques représentent un coût énergétique certain, mais qui est variable selon les métiers, et négligeable dans la plupart des cas par rapport aux bénéfices induits par la réduction des déplacements domicile-travail.
A la question « le télétravail est-il écologique ?", vous répondez donc "oui, mais !". Y-a-t-il des effets rebonds plus difficiles à mesurer, mais qui pourraient totalement annuler les bénéfices écologiques du télétravail ?
Oui, je pense au phénomène de relocalisation des télétravailleurs et télétravailleuses, qui peut faire vraiment pencher la balance vers le négatif. Prenons l’exemple d’une salariée qui travaille à La Défense, à Paris. Elle a la possibilité de télétravailler, et décide de déménager en Bretagne ou dans le sud de la France : quelques allers-retours en avion ou en voiture, et les bénéfices du télétravail sont complètement annulés. L’allongement des distances entre le domicile et le travail, motivé par la quête – totalement compréhensible par ailleurs – d’une meilleure qualité de vie, est loin d’être neutre sur le plan environnemental.
Par ailleurs, déménager hors des grands centres urbains signifie souvent habiter dans des logements plus grands, donc plus énergivores, et dans des zones moins denses, qui nécessitent davantage le recours à la voiture. Le télétravail favorise également une augmentation des déplacements personnels, selon une logique simple : pouvoir travailler partout donne la liberté de partir en voyage ou en longs week-ends plus souvent, et plus longtemps. Une liberté de mouvement tout de même réservée à certaines catégories de travailleurs et travailleuses, en particulier les CSP+, et limitée par de nombreuses entreprises qui n'autorisent pas à télétravailler ailleurs qu’à son domicile.
Au-delà de la prise de conscience, qui est une première étape indispensable, quelles sont les actions prioritaires que les entreprises peuvent lancer pour limiter ou corriger ces effets rebonds ?
Je vois quatre grandes mesures à mettre en place :
Éviter d’encourager (pour ne pas dire interdire) le télétravail à la demi-journée, qui est totalement contre-productif, et qui annule l’effet positif principal du télétravail (la réduction des trajets domicile-travail).
Limiter le télétravail hors du domicile des collaborateurs et des collaboratrices, qui peut être problématique s’il se généralise.
« Sacraliser » une ou deux journées de travail sur site, pour réaliser des gains d’énergie et pouvoir fermer complètement les locaux le reste de la semaine.
Enfin, instaurer lorsque cela s’avère pertinent et possible, un principe de « full remote », c’est-à-dire de télétravail à 100 %, qui est évidemment la solution idéale d’un point de vue écologique, mais qui est un choix structurant pour l’entreprise.
Si ces deux dernières solutions ne sont pas possibles, je conseille de flexibiliser les espaces de travail, afin de réduire l’empreinte immobilière et la consommation énergétique des locaux. Avec des collaboratrices et des collaborateurs absents 2 ou 3 jours par semaine, les entreprises n’ont plus les mêmes besoins en matière d’espaces de travail, et l’idée est d’adapter la taille des bureaux à leur véritable occupation.
À propos de Félicité de Maigret, directrice associée de Greenworking
Férue de leadership, d’accompagnement du changement ou encore de nouveaux modes de travail, Félicité de Maigret accompagne ses clientes et clients dans la mise en œuvre de démarches mêlant esprit d’innovation et vision concrète. Félicité de Maigret a rejoint Greenworking en 2019, et porte plus particulièrement les expertises autour des transformations d’entreprise (organisationnelles, culturelles, managériales, etc.), ainsi que la direction du cabinet. Diplômée de Sciences Po Paris, Félicité de Maigret est une experte de plus de 10 ans d’expérience dans le conseil en ressources humaines.
Greenworking est un cabinet de conseil et un organisme de formation spécialiste des nouveaux modes de travail et des stratégies humaines qui mettent en dynamique des collectifs et des individus en quête de solutions et de sens.